Onglets

mercredi 6 mars 2013

Un jaune canari.

  Au temps des guerres.






  SHOA.
 Interdit l'oubli à ta mémoire.
  Un jaune Canari.


        Sur un barbelé rouillé par le temps, sur un barbelé ignoré du temps, Sur un barbelé négligé par les hommes, tumeur hideuse, terrifiante, vestige oublié d'un temps ancien dans une verdoyante campagne, un frêle oiseau se pose un frais matin de printemps . Gracile canari, fragile bouton d'or, perché comme un défi sur un mortel barbelé rouillé . Herbes tendres, herbes vertes, de rosée matinale vous êtes inondées. Fleurs printanières, fleurs éphémères, de vos couleurs chatoyantes, de vos couleurs colorées, vous peignez le vert tapis. - Regardes bel oiseau, la nature s'est éveillée, la nature est animée, la nature revit. Elle s'est vêtu de ses plus beau atours. Une jupe de tendre mousse verte, un chemisier aux couleurs épanouies et un chapeau bleu azur, orné d'une plume de rayons d'or. - Ecoute Bel oiseau, le doux zéphyr chante dans le feuillage des arbres. - Endtend sa mélodieuse voix aérienne qui faiblit et se tait. Le zéphyr n'est plus ! Le temps suspend son vol et avec lui le féérique enchantement de la nature éveillée. Du fond des âges, le vent nous arrive . Un vent qui souffle de par ici, sur l'herbe couché et dans les feuilles agitées . le vent emplit ses poumons, le vent enfle sa bouche . Le vent nous rapporte, mécontent, réprobateur, moralisateur . - Ecoute attentivement bel oiseau, que nous dit-il ? Tu frissonnes joli serin ? Rassures toi le vent est parti. L'herbe se redresse et le feuillage n'est plus agité. Sous nos pas la terre tremble, la terre gronde et le jour s'en est allé.

        Le sombre noir de la nuit est tombé. Une nuit aveugle, une nuit sourde et muette. Aussi noir que les ténèbres, aussi bruyant que la peur, son oeil cyclopéen illuminé, le train perce le brouillard de la nuit. Un train de fantômes transis de peurs, un train de mort. Un train qui siffle, un train qui s'arrête haletant.
   "Tchoufff!!!, tchoufff!!!".
Un triste, lugubre, sombre et noir convoi de désespérés, immobile sur la blanche neige des rails, sa respiration saccadé.
   - "Tchoufff!!!, tchoufff!!!".
- Ne tremble pas bel oiseau, ce n'est qu'un train identique au précédent, semblable au prochain. Ronde infernale depuis de longs mois, débutée. La sombre machine à vapeur s'est tut, mais le silence n'est plus déchiré par les frappes harmoniques d'une musique d'accueil.
        Un deux trois projecteurs trouent la nuit et réveillent le jour. Dans les accords des violons, les ordres mêlent leurs aboiements à ceux des chiens . Des Chiens affamés, des chiens déchaînés, haineux, crocs en avant, bave aux babines, muscles bandés par l'excitation . Des chiens féroces tenus en laisse ! Des miradors, une impitoyable menace guette . Les doigts nerveux, les doigts chatouilleux, les doigts assoiffés de sang, caressent l'acier glacé, des gâchettes de mitrailleuses. Une voix nasillarde, une voix puissante, une voix tonitruante submerge le tumulte et la musique. une voix terrifiante dominant le temps et l'espace :
   - «ACHTUNG ! ACHTUNG !»
- Ecoute le vent, joli canari, écoute le vent, Oiseau d'or, le vent nous parle, le vent nous raconte, des histoires des temps anciens, des histoires que notre mémoire indignée veut oublier.
        Les lourdes portes des wagons plombés ont coulissé dans un sinistre grincement . des ombres, faméliques et hagardes, des ombres, épuisées et affamées, apparaissent en une masse compacte . Des ombres, transies par la peur et le froid, des ombres, exsangues, tripes et boyaux vidés, reprennent vie, hésitantes, apeurées, éblouies, sous la lumière blafarde des projecteurs . Les vociférations s'intensifient, les chiens aboient de plus belle, les fouets entrent en action :
   «Shnell ! Shnell !»
Les lanières lacèrent au hasard des visages, des corps. - Ce n'est rien mon bel oiseau, ce n'est rien, une peccadille, juste détendre la lanière des fouets. Les ombres sautent ! Les ombres tentent d'éviter le fouet et dans la neige épaisse, s'enfoncent, et dans la neige immaculée s'étalent. Dans la nuit éclairée, trois coups de feu éclatent. Trois corps s'écroulent leur visage dans la neige rougie par trois filets de sang mêlés. - Ne trembles pas, ce n'est rien, petit serin, ce n'est rien, une petite chose insignifiante, juste vérifier le bon fonctionnement du Mauser. Une femme hurle ? - Oui, mon canari ! Un hurlement de douleur, un hurlement de souffrance, Un hurlement de terreur, dans la nuit avancée ! Sa chair est déchiquetée par les crocs voraces, Sa chair est déchiquetée par les crocs acérés des chiens de garde . - Ce n'est rien bel oiseau, ce n'est rien, une petite  chose ordinaire, juste nourrir les animaux.
        Un hochement de tête, un signe de la main, les destins sont scellés. A droite ! A gauche ! Une mort immédiate et l'agonie est terminée . Une mort retardée et l'agonie est prolongée . Lambeau d'espoir, lambeau de vie, avec pour tout horizon, la mort au bout du calvaire . La sélection est terminée, la macabre cérémonie d'accueil a pris fin . Sur la neige maculée, des cadavres, sur la neige violée, la puanteur des déjections, sur la neige bafouée, des traces de sang ! Sur cette neige abreuvée jusqu'à la nausée, les échos d'une sanguinaire et impitoyable cérémonie . - Que veux-tu mon canari, il faut bien vider et nettoyer les wagons . Des wagons, souillés par la peur, souillés par le désespoir, souillés par la résignation .

        A l'intérieur du camp, une sirène stridente, hulule dans la nuit glacée . Sur l'appelplatz, immobiles sur leurs jambes flageolantes, le corps gelé, d'autres ombres plus faméliques, des ombres, squelettiques, attendent. Des ombres plus ombres que leur ombre, patientent. Des morts en sursis, grelottent dans un crasseux pyjama rayé et attendent épuisées par le manque de repos, épuisés par le travail acharné, épuisés par la sous alimentation, l'appel du matin . - Ce n'est rien, bel oiseau, ce n'est rien, seulement des ombres parmi des ombres. Le temps s'éternise, l'épuisement s'accroie, les Kapos comptent et recomptent . - Ce n'est rien mon doux canari, ce n'est rien, juste compter les rescapés de la mort nocturne. - Que regardes-tu donc ainsi bel oiseau ? la jolie maison ? C'est la villa du commandant . Entouré de ses séides, il ripaille. Dans l'alcool et dans le shnaps, sanglés dans leur uniforme noir, leurs bottes cirées, les maîtres d'un temps, les maîtres d'une illusion, les maître d'un crépuscule, festoient . - Oui, mon doux canari, ils se nourrissent, ils noient dans le shnaps la plus futile étincelle de mansuétude. - Vois-tu cette fumée ? Sens-tu cette           odeur ? Mon tendre canari. Regardes par là-bas, les deux hautes cheminées, celles des deux fours crématoires . Dernier refuge des ombres, dernières phase de leur immolation, ultime phase de leur disparition ! Touche finale à la négation de leur vie . - Ne trembles pas mon cher canari, ce n'est rien, juste supprimer les preuves. Ce n'est rien, juste effacer les traces de l'effroyable crime .
        - Tout doux, mon bel oiseau . Le vent se calme, le vent s'apaise . Le vent nous a dit, le vent nous a raconté . Dans les replis de sa colère, il a charrié la barbarie d'un passé, dans les replis de sa colère, il a charrié le cri des agonisants . Dans les replis de sa colère, il rappelle aux hommes, leurs funestes forfaits . Le vent n'est plus qu'un doux murmure d'éveil de la terre au  printemps. Terre des hommes, terre nourricière, tu es le témoin de l'innommable . Terre muselée, en ton sein, dorment des cendres humaines . Les cendres des victimes, de la folie meurtrière des hommes .

        Sur un barbelé rouillé par le temps, un oiseau s'est posé .
        D'un barbelé ignoré de la nature, un oiseau s'est envolé .
        Au-dessus d'un barbelé oublié par les hommes, un oiseau bat des ailes, ivre de liberté... ..


                    MAI 2009
                    Emile LUGASSY.

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