Onglets

mercredi 27 février 2013

La roche vandalisée.

  Carnets de voyage.






Le Mercantour.
  La roche vandalisée.


        La Vallée des Merveilles ? C'est tout bonnement merveilleux tant que vous rêvassez sagement assis sur la banquette arrière de l'auto habilement conduite par Jacques puis qu'ensuite vous visitez le musée de Tendes au bras de Sylvia, la plus charmante des archéologues. La journée nous apparaît emplie d'espoir avec un air d'une fraîcheur de bon aloi et le soleil rieur.
    - Jusqu'ici ça va !
        Pour notre premier pique-nique nous dénichons l'endroit enchanteur. La douceur mélodieuse d'une rivière, un sable qui ne peut envier celui des plages niçoises sans oublier les trois faisceaux du rayonnant soleil. Tiens où est-il passé ? Derrière un gros nuage pardi ! Monsieur nous boude préférant jouer à colin-maillard. Les sandwiches sont appréciés et les douceurs de même, rien que du bonheur.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous abandonnons les véhicules pour entamer la montée qui débute par la planéité du macadam, histoire de ne pas nous effrayer mais surtout de tester notre enthousiasme. Mon premier guide est Jacky. Le bitume s'efface rapidement devant une forêt de mélèzes, de pins sylvestres et une abondante végétation. Les chaudes couleurs automnales expriment ici leur plénitude. Le tendre vert mousse de l'herbe, jaunie sur certaines touffes est jonché d'aiguilles de mélèze mordorées. Lassé de jouer, l'astre solaire brille à nouveau, sa lumière tamisée par le feuillage exaltant les couleurs de la forêt. Nous montons sans grande difficulté, rencontrons des passages ardus, traversons des ponts, le chant des rivières apaise nos premiers essoufflements. Jacky passe le relais à Sergio qui fixe le harnais autour de son sac à dos,  j'ai un nouveau guide.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous arrivons en vue du gîte, la randonnée a duré trois heures de temps et trois tours de trotteuse. Nous prenons possession de nos lits, puis le nécessaire de toilette sous le bras, nous nous précipitons aux douches.
    -Là ! Ca ne va plus ! _ Si vous n'avez jamais pris de douche avec l'eau du pastis lorsqu'elle sort du réfrigérateur, n'attendez plus pour tenter l'expérience. Trois gouttelettes de secondes pour la durée sous l'eau et une nuit pour retrouver la température du corps. La faim apaisée, nous regagnons nos lits respectifs et après les derniers blablas du soir nous plongeons dans un sommeil ponctué de "Rrr" et de "Zzz" bien sonores.

            Jour deux.
        Un bol de café noir, de café au lait ou de thé, nous chassons l'engourdissement nocturne. Les sacs sont prêts, l'enthousiasme est de retour, le petit déjeuner est avalé et les pique-niques raflés. J'ai pour guide Hubert.
    -Jusqu'ici ça va !
        Nous entamons le sentier avec les premières difficultés. Nous qui avons cru avoir la veille vaincu la montagne, nous déchantons rapidement. Ca monte, ça descend, ça grimpe parfois péniblement, ça tourne à droite, à gauche, ça glisse, dérape, des rolling stones, Pardon ! Des pierres qui roulent sous le pied. Tous les trente ou cinquante pas je laisse échapper entre deux expirations :    
    - Jusqu'ici ça va ! Jusqu'ici ça va !
        Quatre heures de temps accolées à trois secondes d'essoufflement se sont évanoui pour atteindre deux mille quatre cents mètres d'altitude sans autres soulagements à nos efforts que quelques brèves haltes mais pas n'importe lesquelles. Notre  douloureuse souffrance est enfin récompensé. Le site est d'une rare beauté, un plongeon sans parachute dans la préhistoire à l'âge de pierre et du cuivre. L'image d'Uzi avec ses armes et ses outils s'impose aussitôt à nous, par-ci, par-là, les gravures polymorphes sur les roches s'offrent à notre regard ébahi. Gilbert notre guide nous montre et nous explique les plus belles, des corniformes, des taureaumorphes, des réticulés, etc... Près de trente huit mille gravures ont été recensées sur l'ensemble du site. Nous découvrons sous sa direction une magnifique roche gravée, brisée par l'indécrottable vandalisme de l'homme. Devant nous se dresse le Mont Bégo.
    - Donnes-moi un bégo, deux bégos, trois bégos Doudou !
        Nous trouvons la place rêvée à l'abri du vent pour pique-niquer. Le contenu de notre sac-repas est avalé avec délectation et rapidité tant a été grande notre faim. Trois miettes de secondes pour digérer la dernière bouchée, siffler une rasade d'eau et nous levons le camp. Gilbert remplace Hubert pour me guider.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous terminons le circuit par la visite d'autres roches tout aussi finement gravées dont une originalité l'Oran acéphale au sexe hypertrophié, divinité dédiée à la fertilité. Le Mont Bégo est tantôt devant nous, tantôt derrière, toujours présent. Les heures s'envolent, la fatigue se fait lourde et la faim est de retour. Nous reprenons le chemin du gîte, les pieds traînent, les genoux accusent la fatigue et les bretelles du sac martyrisent nos épaules.
        Le bar rafle la vedette aux douches et le dîner n'est pas un luxe. Personne ne boude son plaisir ni le repas servi.
    - -Jusqu'ici ça va !

            Jour trois.
        Le soleil est haut, le froid n'est pas absent et notre courage méprise l'érosion. J'ai encore pour guide Gilbert. Après de brèves adieux au gîte, les derniers encouragements nous partons. Le sentier qui descend est herbeux sans les difficultés de la veille, nous pouvons presque chanter.
    - Jusqu'ici ça va !
        La marche se prolonge sur une paire d'heures environ, rien que du miel.
    -Là, ça ne va plus ! La montée reprend. _ Rangez le miel, les douceurs et préparez le pain noir. Comment cela est dur ? Vous êtes dans le Mercantour par au coin du feu ! Une dernière sucrerie puis en marche !
        Les essoufflements accompagnés de respiration saccadée ne tardent pas à s'emparer des marcheurs qui multiplient les haltes. _ Vous reprendrez bien trois secondes de souffle?
        Le nuage de retour, le soleil prend un malin plaisir à jouer baignant la montagne d'ombre et de lumière au gré de ses facéties. Nous poursuivons notre ascension ponctuée de nos halètement jusqu'à une altitude de deux mille mètres additionnés de trois centimètres. A cette hauteur nous ne comptons plus. Il est midi, notre estomac crie famine, notre gosier sec a perdu le souvenir du dernier verre de chianti. Nous redescendons en quête d'un coin repas. Il est paradisiaque, bercé par le clapotis de l'eau d'un lac mais n'avons pas le temps d'apprécier la beauté du site. Sitôt assis, nous entamons le pique-nique. Le repos est aussi bref que la veille, les bedaines sont alourdis, les sacs allégés, les déchets ramassés nous partons. Jacques accepte de me guider. Nos forces de retour, nous reprenons l'ascension en direction de la Voie Sacrée.
    - Jusqu'ici ça va !
        Sur la roche de droite des gravures polymorphes, taureaux, corniformes et autres. Accolés à la rugosité de la roche de gauche pour gravir les cinquante mètres de la voies, des escaliers ont été aménagées. _ Vous pouvez toujours les compter, un, deux, trois, vous êtes au ciel ! Une table d'orientation, trois rayons d'or du facétieux soleil sorti de derrière son nuage le temps de rafler la vedette au Mont Bégo.
    - Donnes-moi un bégo, deux bégos, trois bégos Doudou !
        C'est bien joli mais il faut penser à redescendre pour retrouver les monoxydes de la civilisation. Deux heures accompagnées de deux grains de poussière se sont envolées lorsque nos pieds fourbus foulent les premiers mètres de bitume civilisé. La pause pour le pot de l'amitié, l'inondation des gorges déshydratées avant de reprendre nos voitures. _ Réveillez-moi quand nous arriverons à Carqueiranne...

OCTOBRE 2012, Emile LUGASSY.

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