Onglets

mercredi 27 février 2013

La roche vandalisée.

  Carnets de voyage.






Le Mercantour.
  La roche vandalisée.


        La Vallée des Merveilles ? C'est tout bonnement merveilleux tant que vous rêvassez sagement assis sur la banquette arrière de l'auto habilement conduite par Jacques puis qu'ensuite vous visitez le musée de Tendes au bras de Sylvia, la plus charmante des archéologues. La journée nous apparaît emplie d'espoir avec un air d'une fraîcheur de bon aloi et le soleil rieur.
    - Jusqu'ici ça va !
        Pour notre premier pique-nique nous dénichons l'endroit enchanteur. La douceur mélodieuse d'une rivière, un sable qui ne peut envier celui des plages niçoises sans oublier les trois faisceaux du rayonnant soleil. Tiens où est-il passé ? Derrière un gros nuage pardi ! Monsieur nous boude préférant jouer à colin-maillard. Les sandwiches sont appréciés et les douceurs de même, rien que du bonheur.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous abandonnons les véhicules pour entamer la montée qui débute par la planéité du macadam, histoire de ne pas nous effrayer mais surtout de tester notre enthousiasme. Mon premier guide est Jacky. Le bitume s'efface rapidement devant une forêt de mélèzes, de pins sylvestres et une abondante végétation. Les chaudes couleurs automnales expriment ici leur plénitude. Le tendre vert mousse de l'herbe, jaunie sur certaines touffes est jonché d'aiguilles de mélèze mordorées. Lassé de jouer, l'astre solaire brille à nouveau, sa lumière tamisée par le feuillage exaltant les couleurs de la forêt. Nous montons sans grande difficulté, rencontrons des passages ardus, traversons des ponts, le chant des rivières apaise nos premiers essoufflements. Jacky passe le relais à Sergio qui fixe le harnais autour de son sac à dos,  j'ai un nouveau guide.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous arrivons en vue du gîte, la randonnée a duré trois heures de temps et trois tours de trotteuse. Nous prenons possession de nos lits, puis le nécessaire de toilette sous le bras, nous nous précipitons aux douches.
    -Là ! Ca ne va plus ! _ Si vous n'avez jamais pris de douche avec l'eau du pastis lorsqu'elle sort du réfrigérateur, n'attendez plus pour tenter l'expérience. Trois gouttelettes de secondes pour la durée sous l'eau et une nuit pour retrouver la température du corps. La faim apaisée, nous regagnons nos lits respectifs et après les derniers blablas du soir nous plongeons dans un sommeil ponctué de "Rrr" et de "Zzz" bien sonores.

            Jour deux.
        Un bol de café noir, de café au lait ou de thé, nous chassons l'engourdissement nocturne. Les sacs sont prêts, l'enthousiasme est de retour, le petit déjeuner est avalé et les pique-niques raflés. J'ai pour guide Hubert.
    -Jusqu'ici ça va !
        Nous entamons le sentier avec les premières difficultés. Nous qui avons cru avoir la veille vaincu la montagne, nous déchantons rapidement. Ca monte, ça descend, ça grimpe parfois péniblement, ça tourne à droite, à gauche, ça glisse, dérape, des rolling stones, Pardon ! Des pierres qui roulent sous le pied. Tous les trente ou cinquante pas je laisse échapper entre deux expirations :    
    - Jusqu'ici ça va ! Jusqu'ici ça va !
        Quatre heures de temps accolées à trois secondes d'essoufflement se sont évanoui pour atteindre deux mille quatre cents mètres d'altitude sans autres soulagements à nos efforts que quelques brèves haltes mais pas n'importe lesquelles. Notre  douloureuse souffrance est enfin récompensé. Le site est d'une rare beauté, un plongeon sans parachute dans la préhistoire à l'âge de pierre et du cuivre. L'image d'Uzi avec ses armes et ses outils s'impose aussitôt à nous, par-ci, par-là, les gravures polymorphes sur les roches s'offrent à notre regard ébahi. Gilbert notre guide nous montre et nous explique les plus belles, des corniformes, des taureaumorphes, des réticulés, etc... Près de trente huit mille gravures ont été recensées sur l'ensemble du site. Nous découvrons sous sa direction une magnifique roche gravée, brisée par l'indécrottable vandalisme de l'homme. Devant nous se dresse le Mont Bégo.
    - Donnes-moi un bégo, deux bégos, trois bégos Doudou !
        Nous trouvons la place rêvée à l'abri du vent pour pique-niquer. Le contenu de notre sac-repas est avalé avec délectation et rapidité tant a été grande notre faim. Trois miettes de secondes pour digérer la dernière bouchée, siffler une rasade d'eau et nous levons le camp. Gilbert remplace Hubert pour me guider.
    - Jusqu'ici ça va !
        Nous terminons le circuit par la visite d'autres roches tout aussi finement gravées dont une originalité l'Oran acéphale au sexe hypertrophié, divinité dédiée à la fertilité. Le Mont Bégo est tantôt devant nous, tantôt derrière, toujours présent. Les heures s'envolent, la fatigue se fait lourde et la faim est de retour. Nous reprenons le chemin du gîte, les pieds traînent, les genoux accusent la fatigue et les bretelles du sac martyrisent nos épaules.
        Le bar rafle la vedette aux douches et le dîner n'est pas un luxe. Personne ne boude son plaisir ni le repas servi.
    - -Jusqu'ici ça va !

            Jour trois.
        Le soleil est haut, le froid n'est pas absent et notre courage méprise l'érosion. J'ai encore pour guide Gilbert. Après de brèves adieux au gîte, les derniers encouragements nous partons. Le sentier qui descend est herbeux sans les difficultés de la veille, nous pouvons presque chanter.
    - Jusqu'ici ça va !
        La marche se prolonge sur une paire d'heures environ, rien que du miel.
    -Là, ça ne va plus ! La montée reprend. _ Rangez le miel, les douceurs et préparez le pain noir. Comment cela est dur ? Vous êtes dans le Mercantour par au coin du feu ! Une dernière sucrerie puis en marche !
        Les essoufflements accompagnés de respiration saccadée ne tardent pas à s'emparer des marcheurs qui multiplient les haltes. _ Vous reprendrez bien trois secondes de souffle?
        Le nuage de retour, le soleil prend un malin plaisir à jouer baignant la montagne d'ombre et de lumière au gré de ses facéties. Nous poursuivons notre ascension ponctuée de nos halètement jusqu'à une altitude de deux mille mètres additionnés de trois centimètres. A cette hauteur nous ne comptons plus. Il est midi, notre estomac crie famine, notre gosier sec a perdu le souvenir du dernier verre de chianti. Nous redescendons en quête d'un coin repas. Il est paradisiaque, bercé par le clapotis de l'eau d'un lac mais n'avons pas le temps d'apprécier la beauté du site. Sitôt assis, nous entamons le pique-nique. Le repos est aussi bref que la veille, les bedaines sont alourdis, les sacs allégés, les déchets ramassés nous partons. Jacques accepte de me guider. Nos forces de retour, nous reprenons l'ascension en direction de la Voie Sacrée.
    - Jusqu'ici ça va !
        Sur la roche de droite des gravures polymorphes, taureaux, corniformes et autres. Accolés à la rugosité de la roche de gauche pour gravir les cinquante mètres de la voies, des escaliers ont été aménagées. _ Vous pouvez toujours les compter, un, deux, trois, vous êtes au ciel ! Une table d'orientation, trois rayons d'or du facétieux soleil sorti de derrière son nuage le temps de rafler la vedette au Mont Bégo.
    - Donnes-moi un bégo, deux bégos, trois bégos Doudou !
        C'est bien joli mais il faut penser à redescendre pour retrouver les monoxydes de la civilisation. Deux heures accompagnées de deux grains de poussière se sont envolées lorsque nos pieds fourbus foulent les premiers mètres de bitume civilisé. La pause pour le pot de l'amitié, l'inondation des gorges déshydratées avant de reprendre nos voitures. _ Réveillez-moi quand nous arriverons à Carqueiranne...

OCTOBRE 2012, Emile LUGASSY.

lundi 25 février 2013

Une peur irraisonnée.

Histoires insolites.

Une peur irraisonnée.


L'auto s'arrêta à l'entrée de la ruelle. L'éclairage urbain en panne, un faible quart de lune et la lumière pâlichonne de quelques fenêtres l'illuminaient. La nuit tombée avait chassé des trottoirs toute vie humaine et seul le ronronnement feutré du moteur chahutait le silence. La nuit cependant favorisait l'étude des constellations par des astronomes endimanchés sans bourse déliée, sans l'aide d'une optique et consentir à sacrifier une nuit, perdus dans la contemplation de la voûte céleste. Un reste de douceur estival avait grignoté l'arrivée de l'automne
et les vents du Nord prirent un sage retard. La ruelle prolongeait le mur Sud du cimetière formant à une trentaine de mètres de l'entrée, un coude de soixante dix degrés vers le Nord-Ouest. L'étroitesse de sa chaussée interdisait le stationnement bilatéral et la largeur des trottoirs toléraient difficilement les croisements. Lucille ouvrit la portière arrière, posa l'aiguille du talon de sa chaussure sur le trottoir et à l'instant de sortir du véhicule, Jules, le passager assis près d'elle lui dit mi-figue, mi-raisin :
- Faudrait voir à payer tes impôts ma petite Lucille.
- Gros malin ! répliqua-t-elle.
Roger, le passager avant dit à son tour :
- La rue est sombre, veux-tu que je t'accompagne ?
- Reste assis, le coin est calme et la luminosité est suffisante pour ne pas marcher sur une crotte.
- Pour être tranquille ? Il l'est assurément. Ce ne sont pas tes voisins qui feront un barouf à neuf heures du soir ! reprit Jules.
Stéphanie, les mains restés sur le volant alla de son grain de sel.
- Il n'y a pas que la nuit qu'ils sont calmes. - Forcément, ils ont comme qui dirait le sommeil lourd.
- Vous pourriez faire court ? rétorqua Lucille.
Roger attendit la fin du rire de Stéphanie pour s'adresser
à Lucille.
- Assieds-toi, nous en avons pour la soirée, je le crains.
- Ca promet ! Soupira la jeune femme.
- Vous n'avez jamais eu à déplorer la fuite d'un pensionnaire ? s'exclama Jules que le rire de Stéphanie avait contaminé.
- Tu te trouves drôle ?
Jules ne l'écouta pas.
- Imagines les gros titres de Var-matin : "Mécontents du confort, on déplore la disparition d'un certain nombre de pensionnaires du cimetière..."
- Je ne sais pas si c'est le vin ou l'apéro mais le dîner doit avoir une part de responsabilité dans vos divagations. Je reste, j'ai hâte de découvrir les limites du délire.
Elle arrangea son assise et referma la portière après avoir baissé la vitre. Jules balaya d'un revers de main la réflexion de Lucille et poursuivit.
- Autrefois dans les régions reculés, les personnes tombées en catalepsie étaient enterrées par ignorance de la maladie,. Vous pouvez deviner la panique à leur réveil dans un cercueil.
- Je crois savoir qu'à la suite de ces macabres découvertes, il fut décidé qu'un employé des pompes funèbres mordrait le gros orteil de la personne décédée pour confirmer la mort, ajouta le blond Roger.
Jules laissa passer l'ange noir et trois paires de secondes avant de prendre la suite de Roger.
- D'où l'origine de croque-morts ! Nos aïeux n'avaient que ce moyen rudimentaire pour diagnostic. Durant la prohibition, la mafia américaine s'était servie de corbillards pour
livrer ses bouteilles d'alcool couchés dans le cercueil à la barbe des policiers.
Stéphanie ne trouva rien de mieux à raconter qu'une fable.
- Une riche et jeune héritière, mariée depuis peu à un Duc désargenté, se mourrait de langueur dans le dédale d'un vieux manoir, planté au beau milieu d'un magnifique parc. Le Duc avait plus de passion pour la chasse que pour son épouse dont la santé fragile faisait craindre le pire à son entourage. Un soir, la femme de chambre découvrit sa maîtresse inanimée sur le carrelage de la chambre nuptiale. Les derniers sacrements reçus, le corps de la jeune Duchesse fut abandonné au croque-morts. Ce dernier investi de tout le tralala de sa profession, mordit le bel orteil offert à sa dextre. Le cri de douleur poussé par la jeune femme réveillée, glaça d'effroi l'assistance et désespéra le Duc qui se voyait libre à la tête d'une fortune.
- Vos inepties ont-elles pris fin ? Je peux envisager de rentrer à la maison ?
- Un peu de patience Lucille, j'ai mon histoire à raconter, dit Roger.
- Voyons voir, tu as sauvé de la catalepsie une princesse, lui répondit la jeune femme ironique. Stéphanie ne voulant pas être distancée y alla de sa boutade.
- A son réveil la dite princesse était en vérité la domestique qui, séduite, voulut l'épouser. Jules si prompt à relever se contenta de bailler. Roger lui, attendit la fin du rire des deux jeunes femmes pour narrer son histoire.
- Lors de la canicule de 2003, les pompiers nous avaient amené un vieux monsieur déshydraté. J'étais alors à deux mois de la fin de mon internat. Après avoir examiné le type, je demandai à une infirmière de le perfuser sans trop y croire. La pauvre fille était si débordée qu'elle oublia mon bonhomme dans un coin des urgences. Au soir le vieux Monsieur, sorti du coma frais comme un gardon, nous demanda ce qu'il foutait ici et qu'il lui fallait rentrer nourrir ses animaux. Comment il avait récupéré en peu de temps et sans soins resta un mystère.
Lucille croisa trois regards interrogateurs, secoua la tête et dit :
- Je n'ai rien à vous raconter, pas un pensionnaire du cimetière ne m'a demandé l'hospitalité et au vu de l'heure, je vous abandonne.


Lucille regarda les feux arrières de la voiture s'éloigner jusqu'à n'être plus qu'un point rouge dans la nuit. L'auto partie, le silence reprit possession de la ruelle. D'où elle se trouvait, la jeune femme ne pouvait voir que le mur d'enceinte du cimetière et une partie de la ruelle. Elle assura la bandoulière du sac à main et s'engagea d'un pas ferme. L'écho des talons sur le trottoir résonnait sur la façade des maisons. Elle ignora la sonnerie du téléphone portable, dépassa deux chats qui se disputaient la chaleur d'un capot de voiture encore tiède et évita une masse sombre sur le trottoir dont la nature ne permettait aucun doute. Arrivée au coude, elle s'arrêta, pétrifiée. Les cheveux s'étaient dressés instantanément, le coeur se prenait pour un jumbee et son dîner pour un yoyo. Elle ouvrit la bouche sans émettre autre chose qu'un peu d'air, ses pieds avaient l'immobilité d'un réverbère, un glaçon parcourut ses vertèbres et la chaleur d'un liquide coula le long de ses cuisses. Les yeux exorbités ne quittait pas d'une once l'objet de sa terreur. La sonnerie du téléphone rapatria un peu de sang et de couleur à ses joues, le coeur abandonna le jumbee et le dîner son yoyo. Alertés par la sonnerie, trois squelettes d'enfants au bout de la rue tournèrent leur crâne en direction de Lucille pour disparaître aussitôt dans l'entrée du numéro 13. Lucille eut beau se frotter les yeux, la ruelle était aussi déserte que le Sahara après un passage du Rallye des gazelles. Elle attendit encore, ne vit rien réapparaître, mit cela sur le compte d'un feu follet et retrouva suffisamment de raison pour bloquer la sonnerie du téléphone, se traiter de poltronne qui mouille sa culotte, qu'elle ne pouvait avoir vue de squelettes que dans la salle de dissection de la Fac de Médecine et avait sans doute abusé du rosé au dîner. Elle chassa l'image des trois crânes tournés vers elle et reprit la marche. L'écho des talons était amplifié et sa respiration accélérée était celle d'un marathonien à trois cents mètres de l'arrivée.
Le numéro 13 grandissait à chaque pas, Lucille n'avait d'yeux que pour la porte vitrée derrière la sécurité de laquelle l'attendait l'oubli de son hallucination, le calme de la respiration et un retour de normalité. Elle poussa la porte et, dans la pâleur du croissant lunaire, le vit. Deux cris jaillis dans le même temps, lacérèrent la lourdeur du silence. C'en était trop pour Lucille, elle s'effondra sur le carrelage de l'entrée comme l'eut fait une marionnette privée de ficelles. La main du squelette tira le crâne par le sommet libérant la frimousse acnéique d'Amélie imitée par les deux autres enfants.
- Elle est morte ? demanda le garçonnet.
- Elle n'est qu'évanouie. Lui répondit Amélie, penchée sur le visage de Lucille.
- On va nous punir ? interrogea à nouveau le garçonnet, inquiet à l'idée d'une punition.
- Aucune raison, nous n'avons pas fait de mal. Nous fêtons Halloween...


SEPTEMBRE 2010, Emile LUGASSY.

dimanche 24 février 2013

Une gueule cassée.

 Au temps des guerres.






Une gueule cassée.


        Le miaulement du chat déchira le silence de la maison lorsque Mathilde ouvrit la porte de la cuisine, plongée dans la pénombre. Sa silhouette se découpa dans le rectangle dessiné par la lumière extérieure. Elle avait visité les pièces une à une, ouvert des volets sans découvrir autre chose que le silence bousculé par l'animal et une odeur de ratatouille. Le chat miaula à nouveau se frottant contre sa cheville avant de disparaître dans la salle à manger. Mathilde posa sur la table la boule de pain qu'elle tenait encore lorsque la légèreté d'une respiration la fit sursauter. Elle cria aussitôt, sans penser à allumer ou à percer la pénombre, un peu pour masquer son appréhension et par bravache, pour ne pas fuir.
  - Vous pouvez sortir la guerre est finie et depuis belle lurette !
Venue du coin le plus sombre de la cuisine la douceur d'une voix mélodieuse comme celle d'un chanteur de charme lui répondit.
  - Il est inutile de crier belle Mathilde.
La jeune femme ne put retenir un cri de surprise.
  - Bonté Divine ! Alphonse tu es de retour ? Mais que fais-tu dans le noir ?
  - Le noir n'est qu'une illusion, derrière toi il fait grand jour.
Un soleil haut dans le ciel inondait la salle à manger, la campagne niçoise s'étendait à perte de vue et par beau temps le regard pouvait apercevoir le clocher de la Turbie.
Négligeant la boutade Mathilde répéta sa question.
  - Que fais-tu dans le noir et depuis quand tu t'y trouves ?
  - Une question après l'autre s'il te plaît. Je suis rentré il y a deux mois.
  - Qu'attends-tu alors pour émerger de ta tranchée ? La guerre te manquerait-elle ? As-tu une vague idée du temps ?
  - Nous sommes en avril 1919 et le plus savoureux des printemps.
  - Ca n'a pas l'air de t'émouvoir si j'en juge par ton refus de t'éveiller à la nature. Zut, après tout, cela suffit comme ça !
Mathilde ouvrit les volets sans plus attendre, aussitôt la générosité de la lumière solaire inonda la pièce. Satisfaite, elle se retourna et, les yeux agrandis, leur azur ombragé, porta trop tard la main à sa bouche pour étouffer le cri d'horreur qui avait jailli du fond de sa gorge. Elle tourna de l'oeil et s'écroula évanouie dans les bras d'Alphonse qui avait bondi d'instinct.
        Lorsque Mathilde ouvrit les yeux, elle était allongée sur un canapé du salon commun à la salle à manger, les volets entrebaillés ne laissaient passer qu'un filet de lumière. Sur un guéridon à sa portée étaient posés une carafe d'eau et un verre rempli à moitié. Alphonse était assis sur un fauteuil le visage dans l'ombre et le chat lové sur ses genoux. Mathilde s'assit sur le canapé avec un froissement de jupe qui fit fuir le chat. Elle mit de l'ordre dans sa chevelure noire et les plis de la jupe à la pensée qu'Alphonse l'observer, ne voyant de lui que ses vêtements clairs. La voix d'Alphsonse la devança quand elle ouvrit la bouche pour parler.
  - Ne cherches pas le bouquet de fleurs, je n'attendais pas ta visite. Il me reste un bonbon au fond d'un sachet de ceux que tu préférais.
Elle déclina l'offre et demanda :
  - Où sont tes parents ? La réponse arriva plus laconique qu'un télégramme.
  - Aux champs.
Mathilde prit le temps de vider d'un trait le verre d'eau et de le remplir à nouveau avant de revenir sur l'objet de sa frayeur. Le chat tourna autour de ses pieds, frotta son pelage contre ses chevilles puis retourna se lover sur les cuisses d'Alphonse.
 - Qui t'a fait pareil visage ?
  - Que veux-tu savoir belle Mathilde ?
  - La guerre là-haut, comment était-ce ?
  - Moche ! La boue et la peur du matin au soir et de la nuit au lendemain. Chaque matin nous comptions les camarades pour recommencer le soir, étonnés d'être encore présents.
  - Dans quelles circonstances  as-tu été blessé ?
  - Brûlé Belle Mathilde ! Nous avions pris et nettoyé une tranchée allemande après de durs combats.
Mathilde le coupa sans ménagement.
  - C'était quand ? Avant-hier ou l'an passé ?
La jeune femme ne vit pas le sourire qui accentuait les cicatrices d'Alphonse. Il attendit qu'elle eut retrouvé sa sérénité pour poursuivre. Le chat se contenta de redresser la tête, de bailler puis reprit le ronronnement.
  - Septembre je crois, oui c'est bien septembre 1918, le 15 ou le 16 je ne sais plus, la notion du temps se perd vite.
  - A deux mois de l'Armistice ! s'exclama Mathilde.
  - On peut dire ça comme ça. La compagnie  s'était retirée emportant les morts, les blessés et des prisonniers. Quatorze hommes et moi étions restés pour tenir la position jusqu'à l'arrivée des renforts. Deux hommes installaient le canon de tranchée, les autres consolidaient l'abri. Le secteur calme, n'était troublé que par la canonnade d'obus de soixante quinze dans le lointain. Deux hommes montaient la garde embusqués devant la tranchée ennemie, précaution que nous crûmes superflue car, aucun bruit ni mouvement ne trahissait la présence des Allemands, à croire qu'ils avaient fichu le camp. C'est alors qu'ils arrivèrent avec des lance-flammes sans crier gare par un boyau que nous ne connaissions pas. Protégé par le soldat Dutoit qui se trouvait devant moi, je fus brûlé partiellement. La moitié droite du visage, le bras, une partie de la poitrine et un peu le bassin, ce qui faisait de moi le seul rescapé.
Il ménagea une pause dans sa narration, passa la langue sur ses lèvres asséchées, puis déglutit. La jeune femme alertée par le bruit, lui tendit le verre d'eau qu'il saisit sans exposer son visage à la lumière, puis alla quérir un autre verre dans la cuisine pour le remettre à Mathilde avant de reprendre son histoire.
  - Les Allemands m'avaient évacué vers un hôpital de Berlin. Dans le service des brûlés, j'étais une curiosité Franschözen sous la protection d'une jeune infirmière qui s'exprimait en français.
  - A quoi ressemble-t-elle ?
  - Une jolie Gretchen.
  - Plus belle que moi ?
Alphonse émit un rire si discret que la jeune femme ne soupçonna rien.
  - Je dois avouer que la joliesse du nez retroussé ne nous laissait pas indifférents.
Mathilde se redressa d'un bons pour lancer à la tête de son ami, le seul projectile à sa portée, un coussin de plume.
  - Rustre de paysan !
Surpris par l'atterrissage du coussin, le chat miaula et s'en alla en quête d'un abri moins orageux.
- Tout doux, tout doux belle Mathilde ! Quatre années de guerre ne t'ont pas assagie ?
  - Les femmes ne font pas les guerres, soldat ! A présent poursuis ton récit.
 - Il est fini.
  - Fini ? Rien d'autre à me dire ?
  - Tu as vu ! Une moitié Jékyll, l'autre Mister Hyde.
  - Un fusil avec sa crosse brûlée est accroché dans la salle à manger. A qui est-il et que fait-il chez toi ?
  - Tu as manqué une vocation belle Mathilde.
  - Ne dis pas de sottises, parles !
Alphonse rit de bon coeur, il aimait cette facette volontaire de la jeune femme.
  - Le fusil avait appartenu à Rémy Dutoit. Les parents n'avaient que lui et l'armée ne put leur refuser. Rémy Dutoit avait gravé sur le canon un trèfle suivi d'une citation.
  - Comment tu appelles ce fusil ?
  - Un Lebel, un fusil Lebel.
  - Pourquoi toi ?
  - La mort du soldat Dutoit avait sauvé ma vie.
  - Je ne vois pas de rapport avec sa présence chez toi ?
  - Une autre fois pour une veillée au clair de lune ou peut-être au coin du feu.
  - Je n'attendrai pas, paysan Alphonse !
Il soupira sachant pertinemment que Mathilde n'en démordrait pas.
  - Dutoit et moi avions traversé bien des combats avec peu de casse, ça finit par créer des liens. Pour les parents un peu de Rémy vit encore.
La jeune femme pressentit  que l'histoire était plus longue mais se contenta du récit d'Alphonse.
  - Quels sont tes projets ?
  - Des projets ? J'en avais avant de comprendre qu'une Gueule Cassée n'est pas le bon choix. Tu as le cul entre deux chaises, pour les vivants tu es mort, pour les morts tu es en vie. Je suis le type chanceux qui s'en est tiré avec un peu de casse. Tué, j'ai mon nom sur le cénotaphe de la place du village, vivant j'ai droit à une pension d'invalide de guerre.
  - T'es pas drôle mon Alphonse ! Tu m'as dit être revenu il y a deux mois ?
  - A peu de choses près.
  - Ma boulangerie a disparu de ton carnet d'adresses ?
Alphonse laissa planer plusieurs secondes avant de répondre.
  - J'ai eu besoin de temps pour clarifier mes idées.
  - Clarifier tes idées ? Tu te moques de qui ? Qui as-tu vu ? rétorqua Mathilde le rouge aux joues.
  - Le père a fait venir les notables du village.
Il se leva, remplit un verre d'eau et fit de même pour celui de la jeune femme. Mathilde ignora le rai de lumière tombé sur la partie brûlée du visage, remercia et avant même de porter le verre  à ses lèvres dit, mi-figue mi-raisin :
  - Je subodore que vous n'avez pas passé la soirée à vous regarder dans le blanc des yeux.
  - Tu n'es pas loin de la vérité, sitôt les grandes envolées sur le patriotisme, le sacrifice des soldats et tout le tintouin largués, ils n'avaient plus décollé le regard de leurs souliers. Le Maire demanda en préambule, un peu pour dire quelque chose et pour meubler la gêne qui avait suivi leur poignée de main: "Que peut-on faire pour toi Alphonse ?"
  "- Rien de compliqué, me rendre le poste d'instit."
Le maire mal à l'aise, triturait son chapeau, son gros cul débordant de la chaise, les autres se taisaient bien contents d'être débarrassés de la corvée de charbon. Il avait laissé filer quatre secondes, le temps d'une respiration pour me répondre :  "- On ne serait pas contre s'il n'y avait pas les enfants." " - Vous voulez que j'enseigne à des classes vides ?" "- Les enfants pourraient être choqués. " "- Choqués ! Mais de quoi ? "   "- De voir tes blessures voyons ! Sois réaliste, ils ont l'innocence de l'enfance, ils ne comprendront pas." "- Durant quatre années les journaux n'ont parlé que d'horreurs, photos à l'appui. Je vous parie que rien ne leur a été épargné." "- La raison est suffisante pour leur éviter un nouveau plongeon. Nous savons, toi et nous, que la guerre a été meurtrière, aussi voulons-nous tourner la page et vivre en paix." " - C'est parfait ! Qui mieux que moi pourrait leur enseigner les vertus d'une paix. J'ai été leur instit, du petit Gibus dans ses culottes courtes et la morve au nez, au grand Etienne plus intéressé par la Delahaye du notaire que par les études. Ils me sont plus proches qu'ils ne le seront jamais de vous. " " - La qualité de ton enseignement n'est pas en cause, mais bien l'attachement des enfants à ton égard qui pourraient en pâtir. Ils ont besoin d'une nouvelle icône pour regarder sereinement l'avenir."  " - Prenez garde que vos chers protégés ne soient les soldats de demain ."
Le père Jules, silencieux jusque là, ne supportant plus leur dérobade asséna le poing sur la table et poussa une gueulante.
 " - Mon Alphonse, comme des milliers d'autres, ont eu la peau trouée pour vous laisser peinards, péter dans la soie. Il ne veut pas d'aumône seulement enseigner." " - Père, fous les dehors je les ai assez vus  ! " "  - Sortez de ma maison !"
Ils sortirent plus vite qu'ils n'étaient entrés.
  - Dis, mon Alphonse, où est-il ton bonbon du passé ? demanda Mathilde.
Il lui tendit un sachet de cellophane enrubanné. Elle sortit un canif suisse d'une poche de la jupe et partagea en deux la friandise.
  - Les parts sont-elles égales ? interrogea Alphonse qui ne put retenir un grand éclat de rire.
  - Veux-tu parier une course jusqu'à la rivière ?...

    SEPTEMBRE 2009, Emile LUGASSY.

vendredi 22 février 2013

La balade de Roger Lelièvre.

  Un monde méconnu.









  La balade de roger Lelièvre.


        Joli mois de mai, les couleurs de ta lumière te sont chicanées par la transparence bleutée du ciel azuréen, les verts camaïeux de la végétation dont le chatoiemen le dispute au ciel, tous deux dominé par l'or aveuglant des rayons solaires. Au coeur du printemps, la nature éveillée, s'émerveille de son enchantement. Dans  les champs fleuris, sur les couleurs des pétales, papillons et abeilles s'enivrent du nectar des fleurs, leur subtil parfum libéré dans l'espace campagnard. Les accords mélodieux du chant des oiseaux voltige de branches en branche, leurs bourgeons comme les amours fleurissent avec le même désir.
        Roger Lelièvre son jogging froissé, les baskets salies, se remet de sa longue course matinale à travers champs. Il s'est saoulé d'air frais, a humé les parfums, foulé l'herbe tendre, d'une rosée s'est baigné. Lelièvre s'est bercé du chant des oiseaux, s'est roulé dans les couleurs printanières, d'une carotte s'est nourrit. Arrive à grande vitesse, avertisseur hurlant, Sifrédi Lescargot.
  - Bonjour monsieur Lelièvre ! Comment allez-vous ?
  - on ne peut mieux ! Vous êtes dans une forme éblouissante Monsieur Sifrédi, pour où courez-vous si vite ?
  - Rendre visite à cousine Oseille, j'ai grand hâte de lui faire essayer le confort de mon nouveau camping-car.
  - Quand vous a-t-il été livré ?
  - Pas plus tard qu'hier au soir, figurez-vous mon cher qu'il est le dernier modèle fabriqué par Auto-Rêvée, aussi vous comprendrez bien ma hâte à voir cousine Oseille.
  - Il est magnifique en effet. Votre cousine sera probablement ravie de l'essayer.
  - J'y compte bien !
  - Ooh, Seriez-vous amoureux ?
Sifrédi les antennes frémissantes, la mine réjouit de premier communion, lui montre une alliance.
  - Plus que cela mon Cher ! Vous voyez là le nid qui abritera notre lune de miel.
  - Félicitations ! Mes voeux de bonheur vous accompagnent Monsieur Sifrédi.
  - Je vous remercie Monsieur Lelièvre, à bientôt !
Sifrédi Lescargot disparaît au tournant d'un fourré précédé de la tonalité de son avertisseur sonore.
        Roger poursuit son chemin, hume à droite, à gauche, les narines dans les fleurs. Mimi Abeille émerge d'entre deux pétales, la trompe barbouillée de nectar sous les yeux ébahis de Lelièvre . Elle le fusille du regard, dépose sa précieuse récolte, lui dit sa désapprobation ou plutôt hurle son indignation.
  - Non mais des fois, en voilà des façons ! Ca vous prend souvent de fouiner dans les affaires d'autrui ?
  - Je suis désolé mademoiselle Abeille. Veuillez m'excuser je vous prie je ne vous avais pas vu.
  - Portez des lunettes si vos yeux vous jouent des tours !
Après quoi elle replonge au coeur de la fleur sans autre forme de procès.
  - Bonjour Roger ! Votre flirt vous pose un problème ?
Chantonne une voix derrière lui. Lelièvre se tourne les joues empourprés, une oreille rabattue.
  - Mimi Abeille n'est pas mon flirt quoi que vous pensiez.
  - Attention vous rougissez Roger ! L'interrompt Rosalie Tortue.
  - Où allez-vous de si tôt Rosalie ?
  - au salon de l'habitat mon bon Roger. 
  - Au salon de l'habitat ? Si tôt ? S'enquit Roger étonné.
  - Voyons Roger le salon n'est pas au bout du chemin, sauf pour vous.
  - Vous projetez de rénover votre intérieur ?
  - Il n'est pas question de rénovation, j'ai par dessus la tête de l'ancien. Je veux un mobil home moderne avec de grandes baies vitrées dans ce nouveau matériau que l'on dit légers.
  - Que ferez-vous de la vieille roulotte ?
  - M'en défaire pardi ! Elle est sombre, inconfortable, d'un poids inimaginable. Après tout ce n'est qu'une antiquité, une vieille chose que nous nous transmettons depuis la nuit des temps. Pour mes aïeuls c'était parfait mais de nos jours qui accepterait de tirer ce machin d'une tonne pour partir à l'aventure.
  - Vous souhaitez la revendre ?
  - L'antiquaire m'a offert un bon prix. Il m'a laissé entendre que les étrangers raffolent de nos vieilleries. Vous le saviez vous Roger ?
  - Je l'ignorais Rosalie. J'irai voir votre antiquaire, il se trouve que je possède de vieux meubles qui encombrent mon terrier.
  - Sur ces bonnes paroles je vous abandonne à vos amours. A propos Roger, méfiez-vous des fleurs, nous sommes en pleine saison des locations amoureuses.
Rosalie Tortue reprend la route dans sa vieille roulotte, le toit irisées par un rayon de soleil. Les arabesques sculptées révélant la magnificence des roulottes d'antan. Roger regarde la lumière jouait dans les sculptures avec une attendrissante pensée pour l'artiste qui a façonné le toit du vieil abri. Rosalie tortue hors de vue, Lelièvre reprend ses pérégrinations se promettant une plus grande vigilance dans sa flânerie. A une bifurcation du chemin, il heurte Séraphin Lapin dont la tenus négligée, les poils en bataille, la moustache froissée, le noeud papillon pas mieux loti ont de quoi surprendre Roger. Il n'embrasse pas moins son cousin.
  - D'où sors-tu Séraphin ?
  - Des bras de ma dernière épouse.
Lelièvre lisse le poil de son cousin, lui redresse le noeud papillon.
  - C'est elle qui t'as mis dans cet état ?
  - Notre amour mon cousin, le plus fou des amours!
  - La folie de votre amour a failli me bousculer Séraphin. Pourquoi cours-tu si vite ? Te manquerait-elle déjà ?
  - Cousin, je me dois de présenter mes hommages à mesdames Lapin et je suis fort en retard.
  - ne crains-tu pas l'épuisement à force d'honneurs ?
  - Que nenni cousin ! L'amour est un merveilleux cadeau de la nature.
  - Prends garde Séraphin Nul n'est à l'abri d'un fâcheux. Un jaloux pourrait prendre ombrage et te dénoncer pour polygamie .
  - Voyons cousin cela ne se peut, j'oeuvre pour l'humanité.
  - La discrétion
        est un luxe à ta portée Séraphin, fais-en usage.
  - Tu es sage Roger, je tâcherai d'y penser. Je dois te quitter j'ai trop tardé.
Le lièvre repart soucieux, son esprit accaparé par les frasques de Séraphin Lapin. Il n'est plus attentif à sa promenade ni sur quoi il pose ses pattes. Des chuchotements sur sa droite près d'un buisson, le tire de son étourderie. Il s'arrête net, recule à pas feutrés avec , l'espoir de n'avoir  pas troublé le duo amoureux de monsieur et madame Lécureuil. 
  - M'aimez-vous encore ? Questionne l'énamourée madame Lécureuil.
  - plus que jamais ma tendre amie.
  - Qu'attendez-vous pour le prouver, votre baiser a manqué d'ardeur.
Amusé par les chamailleries du couple, Lelièvre s'attarde mais agacée par le bourdonnement d'une abeille sa patte gauche piétine une vieille ramure séchée. Le bruit attire le regard courroucé de Monsieur Lécureuil.
  - Vous trouvez amusant  de jouer les voyeurs ?
Roger rougit, prend le temps de bredouiller trois excuses avant de s'en aller quelque peu honteux.
        Devenu vigilant par son imprudence, Roger arrive sans plus d'incidents devant la demeure de Yatou Marmotte. Il empoigne le heurtoir, se ravise, frappe trois coups discrets. La voix ensommeillée de Marmotte lui parvient après une longue attente.
  - Qu'y a-t-il ? Qui est là ?
  - Ce n'est que moi Roger Lelièvre.
Le cliquetis d'une serrure précède l'ouverture de la porte sur un miaulement des gonds. Yatou Marmotte apparaît dans la lumière du jour en chemise de nuit sous la robe de chambre, un bonnet sur la tête.
  - Bonjour mademoiselle Marmotte ! Dit Roger aussitôt qu'il aperçoit Yatou.
  - Quelle heureuse surprise Monsieur Lelièvre ! Que faites-vous dehors par un si frais matin ?
  - Le printemps est de retour, voyez comme la nature est embellie.
  - Monsieur Lelièvre ne me regardez pas ainsi je dois être affreuse. Je suis confuse de paraître à vous dans cette tenue.
  - Vous êtes adorable !
Le rouge monte aux joues de la jolie Yatou.
  - Monsieur Lelièvre vous êtes un vilain charmeur !
  - Appelez-moi Roger je vous prie.
Mademoiselle Marmotte dont le rouge des joues est plus vif, bat ses longs cils.
  - Je serais prête dans une heure, nous pourrons déjeuner ensemble.
  - Je reviendrai avec les plus jolies fleurs des champs. Lui réponds Roger tout sourire.

        Lelièvre est heureux, presque aussi léger que le papillon qui volette autour de lui, l'air embaume, le gazouilli des oiseaux est miraculeux, la nature est resplendissante comme son attirance pour Yatou Marmotte qui n'est pas insensible à son charme. Une folle envie de danser s'empare de lui. Il esquisse un début de quadrille, se prend la patte dans ce qui lui semble être une racine, chancèle sans pouvoir retenir une chute dans l'herbe. Il se relève la patte endolorie, découvre en lieu et place de la racine son voisin Irwin Serpent plus surpris que lui.
  - Puis-je connaître la raison de ce croc-en-jambe Monsieur Serpent ? Se lamente roger .
  - Pardon ? Pouvez-vous répéter ? Questionne Irwin Serpent pas tout à fait remis de sa surprise.
  -Que faire un croche-pattes n'est pas une manière civilisée de saluer ses voisins.
Les yeux écarquillés, loin d'être content, Monsieur Sserpent entend manifester son point de vue à Lelièvre.
 - Apprenez jeune homme que je n'ai point ce ridicule attribut que vous vous obstinez à nommer de divers noms.
  - Mais enfin je... tente d'expliquer Roger.
 - Attendez jeune homme je n'ai pas fini  ! A quoi vous servent donc ces attributs dont vous ne savez que faire maladroit que vous êtes. Vous ne trouvez jamais le vêtement qui convient, la chaussure qui ne fasse pas mal. Enfin je suis agacé de vous voir vous prendre les pieds partout particulièrement sur mon corps. Portez des lunettes si vous ne voyez pas clair ! Mais Vous êtes peut-être amoureux ? Dans ce cas mon pauvre ami les lunettes s'imposent, vous verrez plus clair !
  - Je suis désolé, monsieur Serpent.
 - Vous êtes désolé ! Vous ne savez dire que cela. Réplique acerbe le reptile apode.
Sa créance soldée, il s'en va sur un dernier haussement d'épaule glissant entre les herbes dans une silencieuse reptation...

    SEPTEMBRE 2010, Emile LUGASSY.