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mercredi 20 mars 2013

Un après-midi d'été (Prix 2012).

  Au temps des guerres.
  Prix de littérature 2012.
  "Coup de coeur" Yolande Barbier.







 Un après-midi d'été .


        L'été provençal n'aurait pu tirer sa révérence sans parsemer son déclin de belles journées dont il a le secret et qui bien souvent, trichent avec la rigueur d'un calendrier . L'implacable canicule remisée au magasin des souvenirs, le soleil plus sage est une douce clémence et resplendit dans l'écrin tapissé de bleu du ciel . Sous l'or de ses rayons, les couleurs prennent la chaude saturation de la lumière de Provence . Les jaunes-orangés sont éclatant d'or et de luminosité, les champs offrent un harmonieux dégradé des ocres de la terre et sont encore parsemée des reste jaune paille des tiges de blé après la moisson . Les cigales atténuent l'ardeur de leur mélopée estivale et songent inquiètent, aux premiers frimas de l'automne encore incertain . L'eau de la rivière amoindrie, somnolente, s'écoule paresseuse avec une infinie lenteur, oublieuse de son doux murmure . La douceur revenue, les essaims de moustiques redoublent de voracité et multiplient leurs raids sans craindre l'exténuante chaleur de la journée . Eveillée du léthargique assoupissement estival et bercé par la douceur d'un vent léger, la compagne panse les blessures infligées par l'été caniculaire .
        Lorsque le soleil entame sa descente et que sous sa lumière, la nature se pare de la richesse de ses couleurs, sous l'ombre d'un figuier, d'un peuplier ou de l'un de ces grands arbres qui bordent les champs de culture, Ferdinand Leroux se repose après son copieux repas dominical . Il chérit la nature et son coin de campagne ou il aime à se retirer dans la calme solitude de sa retraite . Il médite, peuple son imaginaire ou se laisse surprendre par l'engourdissement du sommeil . Jamais il ne s'est lassé d'admirer sa chère campagne, les yeux à l'affût su plus subtil rayons de lumière jouant, malicieux, dans les ombres de la végétations . Pas une minute passée ne ressemble à la précédente, lumière et couleur se renouvellent sans lassitude . La lumière a mille éclats, la couleur mille visages . Les verts s'étalent à foison, du vert sombre ombragé au lumineux vert clair trébuchant sur la douceur d'un jaune pâle, les bois épousent les dégradés de marrons ou de gris et la terre s'habille du même riche canevas coloré . Sous les facéties de la lumière solaire le paysage sitôt observé, se métamorphose si subtilement en un nouveau panorama, décelé par le seul regard exercé de Ferdinand. Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest le ciel revêt sa grande robe de bleu camaïeu, du plus intense flirtant avec un bleu pâlissant presque blanc . La rivière s'éprend de ses couleurs rayonnées par la course de la lumière solaire . Le matinal bleu sombre frissonnant du lever jusqu'au rouge vermillon miroité par le couchant .Passionné par la féérie de la lumière de Provence, Ferdinand l'a observé amoureusement dans ce qu'elle possède d'enchanteur tant que sa nature propre le lui a permis. Il s'est alors rêvé peintre de la magie en blouse arc-en-ciel, se damnant pour voler à Dame Nature le secret de ses couleurs et enchanter le lin vierge d'une toile blanche . Il a souvent pensé à Léonardo Da Vinci, Mona Lisa et l'énigmatique sourire de la Joconde, soupçonnant le peintre d'avoir aimer l'aura mystérieuse de son modèle, à l'exemple de son amour pour le chatoiement des couleurs de Provence . Pareil à la féérie qui comble son imaginaire, il lui a semblé que l'amour de l'impalpable beauté a guidé la main du peintre jusqu'à transfigurer la célèbre toile .
        Ferdinand ne voit plus l'émerveillement des couleurs de son enfance que par les fines variations caloriques de l'intensité lumineuse qui baigne sa campagne . Il n'oublie pas le foisonnement de la couleur de Provence qui fit son bonheur et naguère celui de  Van gogh . Lorsque les larmes aux yeux, Ferdinand raconte l'enchantement des couleurs, tout comme un amant passionné, parlerait de l'amour et de la femme adorée, le merveilleux s'épanouit et s'étale à l'envie . S'il étonne plus d'un par son savoir, son humble modestie n'en souffre pas .
        La perception des couleurs de sa campagne envolées, Ferdinand a appris à vibrer au plus infime frémissement de la nature . Une faible senteur aussi éphémère soit-elle ne lui est plus inconnue . Quand il rêve son imaginaire, il devient musicien en habit de clé des champs, échevelé, la tête et les oreilles emplies d'une symphonie chantée par la nature . dans la pastorale qu'il compose, vibrent en harmonie les ondes de la couleur, de la lumière et des senteurs qu'il affectionne . Certaines fois où la légèreté d'un vent de nostalgie frémit en lui, Ferdinand oublie la symphonie pastorale, les tableaux et se laisse envahir par le plus doux des souvenirs qui un jour a bouleversé le cours insouciant de sa jeune vie .

        "C'était comme aujourd'hui, un bel après-midi de fin d'été et le jour de son vingtième anniversaire . L'Europe traversait de sombres mois et la crainte d'une guerre redoutée n'était pas écartée . Chapeau de paille, musette et canne de pêche, Ferdinand se rendait à la rivière . Dans un coude ombragé où la lumière tamisée, scintillait sur l'onde et nimbait d'une douce lumière les berge de la rivière, Ferdinand s'arrêta ébloui . A trois pas de lui, apparut une merveilleuse hallucination . Plus qu'un magnifique tableau figé dans l'étroitesse dorée d'un cadre de bois, une scène champêtre, une douce, touchante et attendrissante image de la nature . Il n'osait avancer, n'osait reculer, respirer ou toussoter de crainte de voir la mirifique image s'évanouir . Il resta immobile, hypnotisé par la richesse des lumières et des couleurs, le dégradé des ombres, la douceur des hautes lumières et le pastel des colorations . La toile était si parfaite, le dessin si harmonieux qu'il ne sut que regarder . La lumière, les coloris et la nature s'étaient amoureusement unis pour la plus tendre des poésies . Ferdinand oublia Léonardo Da Vinci, Mona Lisa et la Joconde pour s'absorber dans la subtile magie du vivant tableau instruit par la nature .
        Allongée sur la berge moussue, les pieds nus, Marie sommeillait . Sa jupe remontée, dévoilait le soyeux des cuisses et un fragment de culotte blanche . Du corsage, un joli sein rond, libertin s'était échappé, son téton rosé dressait vers le ciel et un rayon de soleil jouait dans le flamboiement roux des cheveux épars . Elle avait les deux mains jointes posées au-dessus de la ceinture de la jupe et le sein nu soulevé par la respiration régulière, dansait au rythme de celle-ci . Ferdinand fut saisit d'une bouffée de chaleur . Il déboutonna le col de la chemise, peina à calmer le désordre de sa respiration, mais ne put détacher son regard de Marie . Pour la première fois, il la découvrait troublante sous la lumière du jour, leurs habituels jeux ne les avaient guère accoutumé à une émouvante intimité . Une fée semblait s'être penchée sur la rousseur des joues et les couettes de Marie pour les transformer en une belle jeune fille, alanguie sur la mousse dans toute l'explosion de sa sensualité . Il sentit confusément naître en lui un sentiment étranger à l'innocence de leur amitié .
        Marie s'éveilla, vit son ami immobile, son ombre portée sur ses chevilles . Elle lui sourit nullement offusquée du regard de Ferdinand posé sur sa demie nudité . Elle s'amusa presque de son air ébahi, statufié dans la verticalité une canne sur l'épaule . Marie s'assit, rabattit la jupe sur ses genoux et ajusta le corsage avant de dire, les yeux pétillants de malice et d'ironie .
 - Ignorais-tu la présence d'une sirène dans les eaux de la rivière ?
La mine déconfite, Ferdinand bégaya :
 - Je... Je ne m'attendais pas à te... Te trouver ici !
Marie ne put retenir son rire devant attitude penaude du pauvre garçon . Le son clair de son rire s'éleva dans la tiédeur de l'après-midi et couvrit le bruissement de l'eau . Le rayon de soleil tamisé qui jouait dans ses cheveux et adoucissait les ombres du visage, composa pour le bonheur de Ferdinand le plus romanesque des tableaux . Le rire de Marie flotta au-dessus des massifs fleuris avant de s'évanouir dans le lointain, remplacé par un sourire d'ange qui dessina la minceur des lèvres et dans la transparence verte des yeux brilla la joie de voir Ferdinand .
 - Aurais-tu davantage souhaité une perche ou une truite ?
Le garçon retrouvant une faible part de son assurance, ignora la boutade et répondit :
 - J'ai cru comprendre que tu te rendrais à la fête au village .
 - Qui mieux que toi, peut apprécier le silence de la nature . Les fêtes sont ennuyeuses et bruyantes . J'aime autant le calme ombragé de la rivière . Dépose ton attirail nous allons nous baigner .. La température est d'une grande douceur, l'eau est à peine froide et son murmure nous invite à jouir de son onde .
Ferdinand qui n'avait retenu que la perspective d'une baignade, perdit le pauvre crédit d'assurance qu'il avait retrouvé et ses joues s'empourprèrent au souvenir du sein nu de Marie agité par la respiration .
 - Nous baigner ? Mais enfin je n'ai pas de costume de bain !
La jeune fille sentit l'embarras du garçon plus qu'elle ne le vit . Elle se leva sans précipitation avec une souplesse féline, s'approcha de lui et déposa un baiser sur la joue enflammée . La douceur des lèvres, la tiédeur et le parfum du corps de Marie, ajouta à son trouble et son embarras .
 - Oublies le costume de bain, nos culottes feront aussi bien . Souffla Marie.
Elle fit glisser la jupe le long de ses cuisses, puis retira le reste pour ne conserver que la culotte de coton blanc . Elle aida Ferdinand qui empêtré dans sa maladresse, se laissa dévêtir sans regarder autre chose que le soleil qui jouait dans les cheveux de son amie . Il se cramponna à son caleçon lorsque la boucle défaite, le pantalon tomba à ses pieds . Il resta ainsi plusieurs secondes les mains crispées sur l'élastique du sous-vêtement . Marie lui prit la main et l'entraîna dans la fraîcheur limpide de la rivière . Lorsque leur corps s'accoutuma à la température de l'eau vive, Marie lâcha la main du garçon et se laissa entraîner par le courant suivie de Ferdinand, deux brasses en arrière. La jeune fille nageait admirablement, disparaissant de temps à autre sous l'eau pour réapparaître quelques mètres plus loin . Ferdinand restait à distance, nageait peu, soucieux de ne pas perdre son vêtement qui menaçait d'échapper, l'élastique distendu par la force du courant . Il redoutait par dessus tout un contact avec le corps de Marie et la violence de la réaction qui s'était emparée de son bas-ventre à la vue du sein nu, dansant dans le jaune pailleté de la lumière solaire . Ferdinand prenait conscience de l'évolution de leur maturité à l'inverse de la jeune fille qui n'eut pas la même retenue . Elle donnait libre cours à sa joie, sa nage et sa gaîté libérée de toute appréhension . Lorsqu'un jonc accrocha sa culotte dénudant son intimité, elle se contenta de la remettre riant de la bonne farce et reprit la nage . Quand ils sortirent de l'eau, le sous-vêtement mouillé ne protégeait plus rien . Ferdinand  reprit le pourpre de l'embarras, croisa les mains devant le caleçon impudique et chercha des yeux un linge salvateur . Marie compatit au désarroi du garçon, sourit et lui tendit une serviette . Sur son carré d'herbe tendre baigné de soleil, elle s'allongea sur le dos . La lumière irisait les gouttelettes d'eau des cheveux mouillés en une myriade d'arc-en-ciels . L'effort de la natation avait accéléré sa respiration et agitait frénétiquement la poitrine . Elle baissa les paupières et s'abandonna à la chaude caresse du soleil d'après-midi . Ferdinand noua la serviette autour de sa taille et observa longuement Marie allongée . Elle avait replié un genou, ses mains étaient posées le long du corps et ses seins défiaient les lois de la pesanteur . Sous le déclin du soleil, sa peau prit une teinte ambrée et une perle d'eau sur son front accrochait un rayon de lumière jaune-orangé et brillait comme les facettes d'une topaze dorée . « L'Odalisque couchée » du peintre Ingres, lui parut bien fade dans son cadre de bois verni en comparaison du tableau tridimensionnelle que lui offrait Marie . Il s'arracha à la contemplation, s'enhardit et s'allongea contre la jeune fille . Il sentit à nouveau la violente contraction du bas-ventre qu'il tenta vainement de réprimer . La main de Marie prit la sienne, leurs doigts. se croisèrent et le vent léger déposa une mèche rousse sur le front du jeune homme, ce qui ne fit qu'accroître son désir et son émoi . Marie serra ses doigts autour de ceux de Ferdinand et demanda .
 - Es-tu satisfait de la pêche ?
 - Je n'ai rien pêché .
 - La prise ne te convient pas ? Ironisa la jeune fille .
Ferdinand ne répondit pas, se serra un peu plus contre elle, rassembla son courage et posa sa main emprisonnée sur le sein de Marie . Sous la pression des doigts de la jeune fille et le contact doux du sein, sa main trembla . Ils ne bougèrent plus ni ne soufflèrent mot . Le silence n'était troublé que par le bruissement de l'eau de la rivière qui s'écoulait . Quelques Cigales isolées égrenaient une mélopée et le chant d'un oiseau au loin leur parvint chuchoté .
        Ils étaient resté longtemps ainsi silencieux, bercés par la tendre mélodie de la nature, ensuite tout alla très vite . Marie attira le jeune homme sur elle, sentit son désir et chercha sa bouche . Ferdinand répondit à son baiser, libéra sa main et caressa la hanche de Marie . Ils firent l'amour rapidement avec la maladresse de leurs timides caresses . Marie ne put étouffer un cri lorsque Ferdinand l'honora .
        Ils rentrèrent se tenant par la main quand le soleil disparut à l'ouest après un dernier festival de couleurs, le ciel éclaboussé de rouge-orangé . Ferdinand manqua ce rare bonheur, égaré dans les bras d'un autre bonheur . Les ombres n'étaient plus, la richesse coloré s'était amenuisé et le crépuscule pourchassait les dernières auréoles lumineuses du jour .

        Quelques mois plus tard, la France mobilisa les hommes et Ferdinand partit en 1940 défendre le sol de la patrie . Blessé dans les premiers jours de la guerre, il fut soigné durant plusieurs semaines au Quinze-vingts, puis rentra au pays avec la vague promesse d'une guérison et une canne blanche . Marie mit au monde un garçon que l'on appela Jean ".

        Sur l'herbe sèche à peine froissée sous leurs poids, des pas approchent .
 - C'est toi chérie ? Demande Ferdinand qui reconnut le pas léger de sa femme .
 - Oui mon ami, il est temps de rentrer Jean doit s'en aller .
 - Allons-y, je me suis suffisamment reposé . Répond le vieil homme .
Il tend une main que Marie saisit et se lève . Il la prend dans ses bras, la serre contre lui, s'imprègne de sa chaleur et de son parfum . Marie lui caresse une joue, puis dépose sur l'autre un baiser aussi léger que son pas . Leurs deux mains unis, elle guide son mari aveugle jusqu'à la maison ...


                    Mai 2010. Emile LUGASSY.

1 commentaire:

  1. Liliane et Yves GOURIOU14 juillet 2013 à 10:12

    Deuxième lecture d'un après-midi d'été.
    Toujours émerveillés par tes descriptions de la nature,"cette merveilleuse nature",toujours aussi émus par l'histoire de Ferdinand et Marie, nous aimerions savoir si ce récit est purement imaginaire où s'il est autobiographique.
    Dans les deux cas notre émotion reste la même. Yves et Liliane

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