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samedi 16 mars 2013

Paris - Londres en tandem.

  Carnets de voyage.




  Arc-en-ciel AVENTURE.
  ESCAPADE EN TANDEM.
  Où comment relier Paris à Londres sans canne blanche.


            Organisée par la Fédération Française de Cyclo-tourisme, l'expédition "Arc-en-ciel" avait regroupé des handicapés et leurs bénévoles pour relier Paris à Londres sur divers engins à pédales dans le but d'arriver dans la capital anglaise le jour de l'ouverture des paralympiques. Partie de Paris le 23 août 2012, la caravane rejoignit les autres groupes près du Tower Bridge dans l'après-midi du mercredi
        30 août. Lorsque Hubert me demanda de raconter "Arc-en-ciel Aventure" et que Louis me remit une publicité du musée de l'érotisme, allez savoir pourquoi, je crus qu'il m'était demandé d'étudier les charmes des Dames de Paris et de leurs homologues Londoniennes. La tâche qui me parut ardue, ne pouvait être solutionnée que par un travail de proximité, mais comment procéder pour les belles de Londres sans friser l'incident diplomatique pour attouchements. Un démenti arrivé fort à propos, me libéra de l'épineux problème et des phantasmes que j'avais échafaudés. Il s'agissait en fait, de raconter les péripéties qui n'auraient pas manqué d'éclore sur le long ruban d'asphalte gris des routes de France et d'Angleterre. Je fus soulagé car, c'était à peu de choses près, le seul carré de territoire que je pouvais étudier à loisir, sans craindre l'incident cité plus haut si, d'aventure survenait lors d'une chute possible, la sanglante caresse avec le bitume.
        Nous étions arrivés le 21 juillet, l'avant-veille du grand départ. Paris c'est la Cannebière un jour de fête façon gigantisme. Une overdose de monuments, de couleurs, d'artères, d'encombrements, de parfums et de bruits. Le soir au dîner nous fîmes la connaissance des vétérans de Pékin-Paris en route pour Londres. Ils avaient 14000 Kilomètres et des poussières dans les mollets et dans les rayons de leur vélo.
  - Hé revenez, ce n'est pas une histoire d'Escartefigue !
        Ils étaient partis de Pékin le premier avril 2012...
  - Quoi encore ? Mais puisque je vous dis que je n'abuse pas du pastis !
        Ils étaient donc partis le 1er avril, avaient traversé des pays aux villes mythiques avec des légendes comme s'il en pleuvait et du rêve entre deux roues. Ils étaient partis la fleur au guidon et la rage dans les mollets, silhouettes fragiles dans le couchant d'horizons lointains et l'espoir insensé d'élargir leur propre horizon. Je pédalais au son de leur voix et voyageais sur la mélodie de leur récit.
        Le clairon du jour "J" fut remplacé par la sonnerie aigrelette des réveils-matin pour un branle-bas de combat pas ordinaire. Mêlée, clameurs, appels, enchevêtrement des engins, fébrilité, impatience des uns, nonchalance des autres, vacarme, chahut, conversations décousues, cris de joie, cris des râleurs, ça allait, ça venait , ça s'agitait dans tous les sens, ça hurlait, ça s'interpellait, nous avions ressuscité Babel sur un bout de trottoir parisien. Un mégaphone crachota et la voix de Jean le capitaine de l'expédition domina le tumulte.
  - Les tandems derrière les handy-bikes, tout le monde reste groupé. Un tagada d'honneur, histoire d'éclaircir les gorges et le départ fut donné sans starter ni coup de feu. Quatre-vingt personnes et une soixantaine d'engins hétéroclites étaient lâchés dans les rues de Paris, un échantillon d'écervelés sur leur drôles de machines en quête de l'aventure. Trois coups de pouêt-pouêt relayés par une autre trompe accompagnèrent le départ de la caravane qui s'étendait à perte de vue à en juger par ce que je pouvais voir, le dos massif de mon pilote !!
            Les pédales pédalent, les roues roulent et le macadam glisse.
        Des pédales qui tournaient, des rayons qui scintillaient et des selles larges ou étroites, dures ou mollassonnes mais solidaires pour le même sévice, la maltraitance de la malheureuse surface osseuse de nos ischions.
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et les rues défilaient.
        Nous doublâmes par la gauche Arielle et son Pino, un tandem couché. Pierre le cinéaste, avait trouvé dans cet engin la position idéale pour filmer. Une voix hurla derrière nous.
  - Serrez à droite ! Les tandems rabattez-vous ! Restez groupés derrière les abeilles.
        Il y avait le ciel, le soleil et l'asphalte. Des vélos s'échappaient, des tandems suivaient et la caravane s'étirait. Des conversations naissaient, des amitiés se nouaient et les coups de gueule fleurissaient. Les feux tricolores se succédaient, les arrêts de même et les patins de freins chauffaient. Deux, un, Go !
            Les pédales pédalent, les roues roulent et le goudron glisse.
        Les haltes avaient le goût du miel et le don de rapatrier les fuyards et réintégrer les traînards. Les ischions soulagés semblaient dire "Merci !" et les pieds retrouvaient la stabilité des sols. Les étapes sitôt franchies étaient oubliées et nos ischions retrouvaient la sadique caresse des selles. Je vous épargne les dîners et les couchers qui n'ont d'intérêt que de faire bailler. Fort heureusement certains soirs nos envies de bailler restaient au placard lorsque Thierry prenait sa guitare.
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et les étapes défilaient.
        Il est des moments où écrire ne rime plus à rien. Vos doigts restent scotchés sur le clavier de l'ordinateur , vous n'êtes plus là, échappé quelque part dans l'accéléré du film de vos souvenirs récents. Je pense à Martine, Claude et Pierre dans leur handy-bike, tricycle mû par la seule énergie des bras de son pilote. Comment oublier Raphaël dans son fauteuil roulant, les mains inertes posées sur une tablette et tracté par le vélo de son père. Les yeux de Raphaël brillaient d'une lueur de joie et du bonheur de sa présence parmi nous. Où est l'exploit ? A qui la médaille ? Je suis heureux d'avoir pédalé au milieu de cette caravane d'éclopés.
        Gerberoy, un carré de mousse verte pour des ischions meurtris et le pique-nique. Gerberoy, trois mariages et une 203 pour une robe blanche.
  - Vive les mariés !
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et la Picardie était derrière nous.
        La Normandie étalait sous nos yeux ébahis ses verts pâturages et ses vallons, aux dires de mes compagnons qui s'étaient exprimés plus poétiquement par un "Houaaah !". La route normande avait aussi ses charmes vallonnés, une côte sitôt franchie, la nouvelle dressait le flanc raide de sa montée. Nous fûmes heureux d'avoir vaincu l'une des plus "Hard", Claude dans son bike derrière, Hubert et moi sur le tandem devant, chacun de nous arc-bouté sur les pédales.
            Les pédales pédalent, les roues roulent et le bitume glisse.
  - Bonjour Arielle ! Bonjour Chantal ! Tiens Jean-Jacques a perdu sa cavalière.
  - Catherine cramponnes ton guidon, ton pilote prend des photos !
  - Bonjour Jean ! Belle journée n'est-ce pas ?
  - Hé Gabriel ! Carqueiranne est encore loin ?
  - Voiture à gauche ! Rabattez-vous sur la droite !
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et la campagne normande défilait.
        Dans le milieu de l'après-midi quelqu'un cria "Nous sommes arrivés !". J'étais à deux doigts de lâcher les pédales, donner de la trompe et de hurler "Chouette nous sommes à la maison !", lorsque la voix poursuivit "Dieppe !" ou "Saint-Nazaire !" je ne sais plus, qu'importe puisque ce n'était pas Carqueiranne. Nous retrouvâmes les vétérans de Pékin-Paris sous un immense chapiteau pour une maousse réception. Chouquettes et cidre de circonstance, Normandie quand tu nous tiens...
  - Santé Eliane !
        Il était deux heures du matin, Dieppe dormait et nous étions mal réveillés. Les tandems étaient froids, les selles humides et la brise marine traversait nos maillots. Torches allumées, nous prîmes le départ sans tambours ni trompes. Il était deux heures, Dieppe dormait et nous manquions de sommeil. Le silence de la nuit n'était troublé que par le cliquetis des rayons et le frottement des gommes sur la chaussée humide.
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et Dieppe s'éloignait.
        Il était deux heures, Dieppe dormait et nous n'avions plus sommeil. Nous partîmes quatre-vingts et par un prompt renfort nous nous retrouvâmes cent soixante en entrant dans le port. L'attente s'éternisa et le froid gela nos jambes nues. Le Ferry c'est les montagnes russes et le saut en élastique. Vous vous cramponnez à la rambarde bâbord ou tribord pour empêcher le navire de tournoyer et votre dîner de s'étaler sur le pont supérieur tout en priant Saint-Espoir que l'on ne vous détourne pas sur Valparaiso ou Tambouctou. C'est du moins ce que l'on nous a souvent raconté. Le calme de la Manche était noir, nappé de quelques frissons et le ferry avait la nonchalance d'un troupeau d'éléphants en balade.
        Nous retrouvâmes nos engins et le plancher des vaches façon "Made in England". La campagne anglaise s'ouvrait à nous et le changement d'opinions suivit.
  - Les tandems serrez à gauche ! Les hand-bikes rabattez-vous à gauche !
        Et allez donc ! Nous avions du mal à tenir notre droite, voilà que l'on nous demandé de basculer sur la gauche. je fermais les yeux et confiais à mon pilote le soin de démêler la droite de la gauche, pour ma part j'avais résolu le dilemme par trois tours de pédales pour la droite et trois tours de pédales pour la gauche.
  - Qu'en déduisez-vous Holmes ?
  - Elémentaire cher Watson !
            Les pédales pédalent, les roues roulent et le macadam britannique glisse.
        Nous croisâmes des autochtones qui nous saluèrent par un "Hello !" ou un "Good morning !", d'autres nous regardèrent étrangement comme si nous venions à peine de débarquer, nous qui roulions sur les routes du royaume de King Arthur depuis près d'une heure, vraiment choking !
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et les premières belles anglaises croisées étaient derrière nous. New-Haven nous accueillit façon British sur une verte pelouse fraîchement tondue.
  Ohié, ohié Ladies and Gentlemen, good morning ! Ohié, Ohié Mesdames et Messieurs, bonjour ! Vive la république ! God save the Queen !
        Suivirent un thé et des petits fours pour une fringale de cyclistes. La halte s'annonçait sous de bons hospices et le moelleux du gazon invitait au repos. Il y avait le ciel, le soleil et un vert tapis pour une nuit interrompue.
        La balade touchait à sa fin, une étape de quatre-vingts Kilomètres nous séparait de Londres. La nuit et le breakfast furent griffés "Made in Great Britain", le matin était frais mais la journée s'annonça clémente. Le porte-voix reprit du service et Jean distribua les dernières recommandation que nous concluâmes par le désormais classique tagada.
            Tagada tagada, la lèèère !
            Tagada tagada, la lèèère !
        Nous chevauchâmes nos engins et les pouêt-pouêt présidèrent au départ.
            Les pédales pédalent, les roues roulent et the road glisse.
  - Bonjour Martine ! Que dirais-tu de tailler une bavette ?
  - Arielle tu n'as plus de passager ?
  - Louis serre à gauche , ta passagère veut doubler !
  - Les tandems serraient à droite, no sorry ! Rabattez-vous à gauche.
  - Véhicule à droite ! Les handy serrez à gauche !
  - Regardes, Diégo a enclenché l'over drive !
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et la campagne anglaise étendait sa verdure.
        La halte de midi fut précédée d'un chassé-croisé avec les vétérans de Pékin-Paris-Londres. L'herbe était généreuse et la douce chaleur du soleil anglais n'était pas de trop. Nos ischions ne se plaignaient plus, la fraîcheur s'en était allée et le repos octroyé n'était pas volé. Les rêves et les ronflements furent remis à plus tard, la pelouse retrouva sa virginité et nous, nos engins. Le mégaphone réapparut et le dernier ordre tomba.
  - Mesdames et Messieurs en selle, formation d'attaque. Maillot au clair, en avant ! Sus sur London ! La caravane s'ébranla en pédalage de charge menée par les éclaireurs anglais.
  - Allez, allez, allez !
            Les pédales pédalaient, les roues roulaient et Londres approchait...

        Raconter Arc-en-ciel c'est bien, vivre l'expédition est infiniment plus palpitant. Arc-en-ciel Aventure n'eût été qu'un mirifique rêve tracé sur l'écran d'un ordinateur sans nos pilotes, les nombreux bénévoles, Jean, sa fille Valérie, ceux et celles qui n'ont compté ni leur temps, ni leur énergie pour donner vie à la caravane. Saurons-nous jamais trouver les mots pour les remercier.

Si j'avais la faculté de céder la plume, je la confierai à Raphaël. Quel bonheur ce serait de découvrir son récit. Peut-être qu'un jour si ma supplique lui parvient, la maman nous rapportera les paroles de Raphaël.
        Quand vous perdez patience sur l'autoroute, devant une caisse de grande surface, ou lorsqu'un malappris vous brûle la politesse, restez zen, le regard de Raphaël vous sourit.

                SEPTEMBRE 2012, Emile LUGASSY.

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