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vendredi 15 mars 2013

La palabre.

  Un monde méconnu.
 







 La palabre


        Ils ont volé une grande partie de la nuit en plusieurs formations espacées les unes des autres, chacune d'elle regroupant les représentants d'une, deux ou trois ethnies . Par mesure de sécurité, les parlementaires et leurs interprètes ont été éparpillés parmi les formations d'oiseaux en vol . L'ensemble forme une immense aile delta, avec à sa tête, un aigle royal . Les formations ont grimpé au-dessus de la couche nuageuse et un vent portant économise leurs forces . Dans le noir de la nuit, les étoiles scintillent comme autant de diamants dans un écrin de velours . A intervalles réguliers, des éperviers éclaireurs partent du convoi explorer les alentours. Deux d'entre eux reviennent après une absence prolongée faire leur rapport . Aussitôt, l'information se propage parmi les volatils . « Avion Airbus A380, à une heures couloir proche » . Un frisson parcourt le convoi, particulièrement les formations de droite, à l'idée de croiser les réacteurs du monstre de métal. Le silence de la nuit est troublé par le vrombissement grandissant des réacteurs de l'avion approchant à grande vitesse. L'ordre claque alors, comme un coup de fouet . "Cap sud, sud-ouest, palier cinquante pieds au-dessous !" Le convoi descend en piqué vers le nouveau couloir plus sécurisé. Les lumières de l'Airbus apparaissent, au-dessus des formations, au nord dans un assourdissant vacarme . Plusieurs éperviers éclaireurs s'envolent dans sa direction et reviennent quelques minutes plus tard avec une nouvelle rassurante . Le monstre mécanique ne porte aucune trace de collision avec des oiseaux vollant en solo . Après le passage de l'avion, les oiseaux reprennent leur premier couloir aérien.
        Aux premières heures du jour, à l'approche des côtes américaines, un groupe de goélands vient à leur rencontre. Le contact établi, ils prennent la tête du convoi et la direction de Washington .

        Six mois plus tôt, sollicité par un émissaire dépêché par la communauté des oiseaux, Victor Lorna rencontra à Paris le secrétaire d'état américain. L'entrevue eut lieu dans les salons privés du secrétaire à l'hôtel Georges V . Lorna était arrivé un peu avant l'heure, flanqué de l'émissaire, un bel hibou de la famille des grands Ducs et de monsieur Blabla, un mainate de Malaisie, chef de file des interprètes de la délégation des oiseaux . Le secrétaire d'état, le reçut avec un quart d'heure de retard, invoqua les affaires pour excuser cette impolitesse et fronça les sourcils à la vue des deux spécimens d'oiseaux . Il  hésita un instant entre clore l'entrevue ou, appeler la sécurité de l'hôtel. Il se ravisa et demanda, , rassuré par l'attitude inoffensif des visiteurs.
 - Qu'attendez-vous de moi, monsieur Lorna ?
Victor n'alla pas par quatre chemins .
 - Monsieur le secrétaire, je suis mandaté par la communauté des oiseaux, pour obtenir par votre intervention, un entretien informel entre le Président des Etats-unis et une délégation de parlementaires des oiseaux.
Monsieur Blabla traduisait au fur et à mesure, au grand duc les paroles de Lorna . L'Américain interloqué, se demanda si le Français n'avait pas abusé du bordeaux ou du champagne . Après un silence qui paru interminable au détective, le secrétaire prit un paquet de cigarettes, le tendit à Lorna, qui refusa, en saisit une, craqua une allumette, vit l'expression de désapprobation des deux volatils et remit la cigarette dans le paquet .
 - Pour quel motif, vos oiseaux désirent rencontrer le Président des Etats-Unis ?
 - Etablir une charte pour le partage et l'exploitation pacifiques du trafic aérien .
Cette fois, l'Américain failli s'étrangler . Il se leva, fit quelques pas dans la pièce, histoire de se prouver qu'il ne rêvait pas ou que lui-même, n'avait pas abusé la veille au cours du dîner, du divin breuvage qu'il enviait à la France . Il décrocha le téléphone, obtint la réception, commanda un second petit déjeuner avec un café bien tassé et des rafraîchissements pour ses invités . Il raccrocha, se perdit dans ses réflexions la main restée posée sur le combiné . Il avait reçu au cours de sa longue carrière diplomatique, bien des demandes farfelues, mais celle-ci lui parut la plus extravagante . D'un autre côté, faire de son pays la première nation à engager des pourparlers avec le monde des oiseaux, lui sembla comme la plus sensationnelle nouvelle depuis l'arche de Noé . Son cerveau travaillait vite . Ses agents l'avaient informé de l'excellente  réputation dont jouissait Victor Lorna et que ce dernier ne s'aventurerait pas dans une histoire farfelue . Il se rassit et demanda :
 - J'ai besoin de plus amples informations, vous comprenez bien, qu'il me faudra une solide argumentation à présenter au Président des Etats-Unis .
Le grand duc prit la parole, monsieur Blabla assura la traduction .
 - Nous souhaitons établir des couloirs aériens, propres à chacune de nos deux communautés . Nous avons préparé une liasse de documents que monsieur Lorna vous remettra si vous adhérez à notre cause et accepter de plaider en notre faveur auprès de monsieur le Président des Etats-Unis .
Le secrétaire d'état de plus en plus perplexe, se gratta longuement le menton, se demandant s'il n'était pas l'objet d'une farce dont les Français ont le secret. Cependant il craignit un jugement hatif et se dit que La réussite d'un tel traité serait le couronnement de sa carrière . Il se tourna vers le grand duc, chercha une formule de politesse, se rendit soudain compte qu'il n'en existait aucune dans le protocole pour s'adresser à des représentants d'oiseaux . Il soupira et dit :
 - Retrouvons-nous ici, La semaine prochaine . Disons, la même heure, qu'aujourd'hui .
Après le départ de ses interlocuteurs, il resta longtemps songeur . Aucun des événements majeurs qui parsemèrent sa carrière de diplomate, n'eut l'impact que soulèvera celui-ci . Hormis le récit de la bible qui rapporte la trop courte période de pacification entre le monde animal, Noé et sa famille, il n'avait pas le souvenir de l'existence d'une autre période de paix entre les deux communautés. Il soupira à nouveau et se dit que Tout serait à construire . Il bu son café refroidi et appela sa collaboratrice .

        Le convoi arrive au'dessus de la maison blanche, les goélands, leur tâche terminée, prennent congé et des aras au plumage coloré accueillent les visiteurs . Sur la pelouse de grandes volières ont été installées pour les parlementaires et leur suite . L'armée a mis en place, un vaste dispositif de sécurité autour de la maison blanche et des environs, afin de prévenir toute intrusion terroriste . Au sol, sur la pelouse, Victor Lorna est là, en compagnie de monsieur Blabla . tous deux regardent la nuée d'oiseaux qui s'apprêtent à atterrir . Les formations plongent vers le sol, les unes après les autres, atterrissent dans un ordre irréprochable et sans la plus infime erreur de manoeuvre . Sitôt à terre, les membres d'une formation, libèrent l'aire d'atterrissage pour la suivante . Lorsque tout le convoi se retrouve au sol, les oiseaux prennent possession des appartements mis à leur disposition où des rafraîchissements les attendent .

        Le secrétaire d'état eu plusieurs entretiens avec le détective Lorna et le grand duc . Il reçut toutes les assurances et réponses à ses questions et fût étonné par l'immense savoir du grand duc en matière de navigation aérienne . Sa mission remplie, il rentra aux Etats-Unis .
        Dans le bureau ovale, il rencontra, outre le Président et ses plus proches conseillers, le chef de la CIA et le ministre de la Justice .
 - Peut-on faire confiance à ce détective français ? demanda le chef de la CIA .
 - Il jouit d'une excellente réputation dans son pays . Cependant, rien ne nous empêche de mener notre propre enquête . Lui répondit le secrétaire .
 - Cela tombe à pic, j'ai deux agents en France, qui opéreront discrètement .
 - Surtout, pas de vagues, la France est un pays ami ! Intervint le ministre de la Justice .
 - Que pensent les Français de cette affaire ? Questionna le Président .
 - Le Président français suit les choses de près, mais nous laisse agir .
 - Allons-nous informer nos autres alliés ? Demanda l'un des conseillers .
 - Il est encore trop tôt !
 - Et pour les journalistes, quelle décision, allons-nous prendre ?
 - Black out, total ! intervint le chef de la CIA ;
 - Nous préparerons une campagne de désinformation pour assurer la sécurité des oiseaux . a Dit un autre collaborateur .
 - Avons-nous des interprètes ?
L'innocente  question du Président surprit tout le monde .
 - Aucun, monsieur le Président, répondit embarrassé, le premier conseiller .
 - Nous pouvons engager des papegais, nos ara d'Amérique . Dit le deuxième conseiller .
 - Mais enfin, ils appartiennent à la communauté des oiseaux ! Se plaignit le Président .
 - Monsieur le Président, ils sont citoyen américains . Nous pouvons toujours leur faire prêter serment sur la constitution, une nouvelle fois . Plaida le ministre de la Justice .
Le Président ne fut  pas convaincu, il aurait préféré un humain pour interprète . Tout cela le dépassait un peu, s'il n'avait connu son secrétaire, vieux complice de leurs débuts politiques, il aurait convoqué les psychiatres pour l'examiner .
 - Seront-ils nombreux ? Demanda le chef de la CIA .
 - Des représentants de plusieurs espèce, à l'exception des oiseaux asiatiques . Lui répondit le secrétaire d'état .
 - Pourqoi, l'absence des asiatiques ?
 - Ils ont des contacts avec Tokyo et Pékin .

        La délégation des oiseaux se compose de l'aigle royal, d'un condor, de deux colombes, d'un faucon et de quelques représentants des autres espèces . L'épineux problème des colombes et des faucons a divisé les oiseaux . Certains ont voulu une majorité de colombes dans un esprit d'apaisement et de paix à l'égard de la communauté des hommes . D'autres ont préconisé l'inverse, arguant qu'il faut montrer sa force dans les négociations . finalement, un compromis a été trouvé, tant le désir de préserver la vie des oiseaux est grand . Ils ont aussi conscience qu'ils oeuvrent pour la sauvegarde de la planète bleue .
        Le groupe d'interprètes, mené par monsieur Blabla, se compose lui, de mainates et de deux papegais . Victor Lorna assistera en tant que représentant officieux de la France .
        Les Américains, afin de préserver le secret, ne convoquent pour la réunion que les hommes déjà au courant, soit un cercle restreint, auquel est adjoint le gouverneur de l'état de Washington .
        Les entretiens débutent par une longue litanie de doléances . Chacune des deux communautés, déplore ses victimes dans l'exploitation de l'espace aérien . L'aigle royal parle avec gravité, sans précipitation, laissant le temps à monsieur Blabla de traduire chacune de ses phrases .
 - Nous déplorons chaque année un plus grand nombre de victimes, lors de collision avec des avions, tant civils que militaires . A chacune des marées noires, nous payons également un lourd tribut . En outre vos guerres n'ont jamais respecté notre neutralité . Aujourd'hui, les migrations d'oiseaux sont devenues des voyages à haut risque . Nous avons dû formé nos propres éclaireurs-aiguilleurs, pour accompagner chaque migration .
Le Président des Etats-Unis prend ensuite la parole .
 - Nous déplorons autant que vous ces malheureuses collisions . Malgré la taille et la technologie de nos aéronefs, nous redoutons ces rencontres qui endommagent les réacteurs avec le risque de précipiter vers la mort les voyageurs et l'équipage . a chaque escale, nous révisons nos appareils et ceci augmente les coûts d'exploitation . lors des catastrophes pétrolières en mer, les hommes mettent tout en oeuvre pour soigner les oiseaux, victimes de la nappe de pétrole .
Les papegais américains traduisent fidèlement les paroles du Président .
        Le chef de la CIA, s'exprime à son tour .
 - En 1960, des milliers d'oiseaux ont attaqué sauvagement et sans raison la paisible petite ville de Bodega Bay, en Californie, semant la panique parmi les habitants . Nous avons eu à déplorer de nombreux blessés, dont la mort de la maîtresse d'école . Des enfants ont également été blessés . Cette attaque inattendue a choqué l'Amérique .
Après la traduction par les papegais, le faucon lui répond .
 - Dans ces années-là, l'augmentation du trafic aérien, les essais nucléaires et la conquête de l'espace, ont causé la mort de milliers de nos compatriotes . L'agression que vous déplorer, aussi regrettable soit-elle, a été une légitime réaction de notre peuple qui n'a pas voulu subir la mort sans réagir .
L'une des deux colombes poursuit .
 - Un grand cinéaste a fait de ce regrettable événement un film à grand spectacle . Sa diffusion mondiale en 1963 n'a pas amélioré le sort de nos frères ailés . Quand aux chasseurs, ils se sont crus autorisés à tirer sur tout ce qui vole. Nous sommes venus, aujourd'hui, pour promouvoir une co-existence pacifique entre nos deux peuples .
        Estimant qu'il est grand temps de clore le chapitre des doléances, le Président des Etats-unis reprend la parole .
 - Nous avons étudié votre proposition de partage de l'espace aérien et la mise en place de couloirs spécifiques . Cependant, une difficulté nous parait insurmontable .
 - Quelle difficulté, monsieur le Président ? Demande poliment l'aigle royal .
 - Comment allons-nous former nos aiguilleurs du ciel à la nouvelle configuration de la navigation aérienne .
 - Nous avons pensé à cela, reprend l'aigle royal et, nous envisageons d'engager nos propres aiguilleurs dans vos tours de contrôle .
Les hommes se regardent interloqués, voilà une co-existence à laquelle ils n'ont pas pensé .
 - Comment établirez-vous la communication entre les deux aiguilleurs ?
 - Chacun de nos aiguilleurs sera accompagné d'un interprète .

        Les entretiens se prolongent tard dans la soirée et les deux parties conviennent d'un accord secret au terme de ceux-ci . Aussitôt après les oiseaux s'envolent, pilotés par les goélands jusqu'à la limite de l'espace aérien américain . Les volières sont démontées, le gazon remis en état, les militaires retirent leur dispositif et s'en vont juste à temps . Les journalistes ont commencé à manifester leur curiosité ...


                JANVIER 2011, Emile LUGASSY.

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