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mercredi 20 mars 2013

Le prisonnier (Prix 2011).

  Histoires insolites.
 Prix de "Lire à Hyères" 2011. 







  Le prisonnier


        La pâle lueur du jour naissant a délavé le noir d'encre de la nuit . Dans l'un des couloirs, sombre et étroit de la prison, le grincement des essieux de la roulante et la voix rocailleuse du geôlier sentant l'ail et le mauvais alcool, résonnent .
 - A la soupe !
        Répétée de cachot en cachot, l'injonction est suivie du bruit des clefs, fourrageant dans les serrures rouillées et mal entretenues, les loquets basculant avec un bruit de métal fatigué, les portes s'ouvrant aussi grinçantes que la roulante et la voix du geôlier, le bruit de chaînes et de sabots traînant sur les vieilles dalles usées . La prison s'éveille et avec elle une longue et morne journée, ponctuée des brimades de prisonniers . Certains jours, les hurlements d'un prisonnier soumit à la question déchirent l'air du matin ou de l'après-midi faisant trembler d'effroi ses compagnons d'infortune .
        Roland Ratefort déplie sa longue carcasse avec minutie, prenant soin de ne pas basculer de la misérable paillasse qui lui sert de couche . Il rabat la couverture mitée, perméable au froid et à l'humidité suintant des murs de pierre du minuscule cachot. Il risque l'ouverture d'un oeil avec l'espoir insensé de voir les murs de la geôle métamorphosés en bleu du ciel et la chandelle de l'informe bougie transformée en un radieux soleil de liberté . Si, au début de son emprisonnement, il a pris le soin de graver d'un trait sur la pierre, à l'aide d'un petit caillou, chaque jour passé, bien vite, il a perdu cette gymnastique et la notion du temps . Les jours, les mois, les années ne se sont plus comptés que par les nuits glaciales d'hiver et celles, torrides de l'été . Roland Ratefort, n'est ni un noble, ni un bourgeois . Il n'a attenté à la vie de personne, menacé la royauté ou blasphémé sur la place publique . Son seul crime a été d'être un miséreux, un gueux parmi les gueux . Le jour, battant les ruelles de la cité, il a déambulé en quête de menus services à effectuer, contre une, deux pièces ou de la nourriture . La nuit venue, il a parcouru les mêmes ruelles à la recherche d'un abri, si précaire soit-il, pour dormir, se protéger du froid et de la pluie. Il a accepté tous les travaux, même les plus répugnants . Il a chanté à la belle saison, martelant les pavés de son bâton pour accompagner son chant. Un soir, il a sauvé une noce en remplaçant le troubadour, malade d'avoir trop bu .
        Assailli par la noblesse et la bourgeoisie, le roi a cédé et la loi a été promulguée. D'instruction, Ratefort n'en a point, des écrits royaux, il en ignore la teneur . Tôt un matin de printemps, il est cueilli par la maréchaussée. Sans famille et sans un sou pour acheter les services d'un défenseur, son errance a pris fin dans un cul de basse fosse.

        La faible luminosité du jour peine à chasser la pénombre du cachot. Habitués à la demie obscurité, les yeux ouverts de Roland Ratefort fixent tristement la cuillère et l'écuelle de bois reposant dans son logement creusé dans le plateau de ce qui a dû être autrefois, une table . Les grincements de la roulante et du geôlier se rapprochent . Couverture rejetée, le prisonnier se redresse, baille et se frotte les yeux. Par un curieux hasard, il ne porte pas de fers aux chevilles. Ses pieds nus, s'enfoncent dans ce qui ressemble à des sabots . IL se lève, saisit son écuelle et attend patiemment devant la porte . Patience et attente, Roland Ratefort en sait le prix . Toute sa misérable vie s'est résumé à à attendre et patienter . Il a attendu le bon vouloir des bourgeois pour un travail, a patienté pour le salaire de son innommable besogne . La clefs tourne, les loquets déverrouillés, la lourde porte comme ses voisines, s'ouvre dans un sinistre grincement .
 - B'jour quarante quatre !
 - Bonjour chef !
Le prisonnier tend son écuelle et l'autre main . Un bruit de liquide chaud versé, un quignon de pain noir et la porte se referme . Ratefort dépose son trésor sur la table . La porte s'ouvre à nouveau avec le même déchirant grincement . Il tend son seau d'aisance, attend quelques minutes et le reprend rincé . La porte se referme, la clef tourne, les loquets sont verrouillés . Assis sur un tabouret branlant, il entame l'infecte repas, un maigre gruau dans le quel surnage un gras de viande .
        Le jour à présent levé, l'activité matinale terminée, le silence retombe . Roland Ratefort abandonne la table, son repas consommé. Près du coin le plus sombre, il pose au sol l'écuelle dans laquelle, il a émietté un peu de pain noir sur un reste de gruau puis, il s'assoie sur la couche. Son attente est de courte durée, poussant de petits cris, elle sort du trou, fait le tour de l'objet, regarde Roland, esquisse deux pas de danse avant de savourer le repas . Elle consomme toute la nourriture offerte. La main du prisonnier posée au sol, elle se rapproche son festin terminé, flaire les doigts, mordille le majeur et l'index, puis se blottit dans le creux de la main de Roland .
 - Bonjour Princesse, votre Seigneurie a-t-elle bien déjeuné ? Ce n'est certes pas un repas royal, mais il est servi avec toute ma tendresse .
Elle pousse de petits cris en réponse et frotte ses moustaches sur le pouce .
 - T'es-tu bien reposé ?
Elle remercie à sa façon en léchant la main puis, grimpe le long du bras, jusqu'à l'épaule, mordille  le lobe de l'oreille, dépose un baiser humide à la base du cou et repart vers le trou après un salut à sa manière .

        Une nuit noire de froid et d'humidité, il y a quelques jours ou quelques semaines, Roland Ratefort n'en a pas gardé le souvenir . La nature en colère, s'est déchaînée avec furie . Les éclairs ont zébré un ciel de plomb, le tonnerre a été terrifiant, faisant trembler les murs de la vieille prison et la pluie a tambouriné avec violence . Dans l'obscurité de son cachot et dans l'infernal vacarme, le prisonnier quarante quatre, a entendu des cris aigus et plaintifs . Il a vu dans la lumière d'un éclair, au milieu d'une dalle, une souris blanche apeurée . Avec une infinie précaution, il a approché sa main ouverte . Le petit mammifère s'est blotti dans le creux de la paume tremblant de tout son être . Roland Ratefort la rassuré, caressé le pelage blanc et offert les quelques miettes de son ordinaire oubliées autour de l'écuelle . Cette nuit-là, il l'a gardé près de lui . Le matin après la fin de l'orage, il a partagé son pain et son gruau, puis elle s'en est allée par le coin le plus sombre de la geôle .
        Depuis, elle a pris l'habitude de lui rendre visite la nuit, de partager son repas le matin, puis de s'en retourner après un dernier petit cri . Roland l'a appelé « Princesse » et ce lien a adouci les nuits de son emprisonnement .
        Un soir, où ils ont joué près du trou, Princesse a attiré son attention sur la friabilité de la pierre fortement humide autour du trou . Il a gratté avec ses ongles le mortier qui s'est effrité. Les jours suivants, il a conçu un plan d'évasion . Le coin, dans l'obscurité la plus totale, personne, parmi les gardiens, n'aurait eu la curiosité de s'attarder sur cette partie, la prison étant vétuste et mal entretenue . Cependant, il s'est heurté à une difficulté majeure, l'évacuation des gravats . La solution a été trouvé par Princesse et les siens. Roland a confectionné des petits sacs dans des haillons récupérés . La nuit il a gratté le mortier et les souris menées par Princesse, ont vidaient les sacs à l'extérieur . Le travail est long, les doigts se fatiguent et les ongles s'usent rapidement contre la pierre . Ne voulant pas attirer l'attention, il ne s'est servi ni de la cuillère, ni de l'écuelle .

        Princesse revient le soir en compagnie de siens, portant un tire-crin, qu'elles ont dérobé dans l'atelier de rempaillage de la prison . Au comble du bonheur, Ratefort s'empare du précieux outil et se met au travail . Sous La pointe d'acier, le mortier cède plus facilement et Roland peut oeuvrer plus vite, ses doigts se fatiguent moins et les ongles de s'usent plus . Les souris augmentent leurs rotations et le travail progresse rapidement . Un peu avant l'aube, il parvient à desceller la première pierre . Il dissimule le tire-crin dans le trou emprunté par les souris et s'allonge sur sa paillasse .
        Le soir venu, après une journée de repos, Ratefort et les souris reprennent leur ouvrage. Roland retire la pierre sans trop de difficulté . IL s'allonge à plat ventre, teste l'espace dégagé, puis examine la pierre suivante, aidé du tire-crin . Celle-ci et le mortier sont durs, il cherche une faille, n'en trouve pas et s'apprête à abandonner, lorsque Princesse attire son attention par ses cris . IL promène sa main sur la gauche de la pierre, sent la terre meuble et le tunnel des souris . Roland mesure l'espace occupé par la terre et estime qu'il lui faudra briser l'angle gauche de la pierre afin d'élargir l'entrée du passage bifurquant sur sa gauche . Pour voir où le tunnel conduit, il décide dans un premier temps de l'agrandir . Guidées par Princesse, les souris creusent aux côté de Ratefort . Soudain, le tire-crin dérape sur un objet métallique faisant entendre un son cristallin . Roland déblaie autour de l'outil, planté dans ce qui lui semble être du cuir . Il extrait de la terre une bourse pesant près d'un kilogramme . Il défait le lien, retire deux pièces d'argent et une bague. Il présente cette dernière à la lucarne et, dans la clarté lunaire, l'éclat d'un diamant scintille.
 - Fichtre ! Princesse nous voici riches ! Qu'allons-nous faire de cette fortune ?
Il prend la souris, la cale sur son épaule et esquisse deux pas de danse .
 - Bien à présent, remettons-nous au travail . Il pose Princesse au sol, remet la bague, l'argent et renoue le cordon .

        Comme chaque matin, la porte du cachot s'ouvre et la voix aillée du chef retentit .
 - B'jour, quarante quatre !
 - Bonjour Chef, qui a occupé cette cellule avant moi ?
 - Tu t'intéresse à l'histoire de la prison, quarante quatre ?
 - Simple curiosité Chef !
 - Avant toi, le cachot a été occupé par un prince qui a comploté contre la couronne .
 - Diantre, quel honneur pour un pauvre hère comme moi, d'occuper la demeure d'un Seigneur . Et qu'est-il devenu ?
 - Un accident ! Ces nobles ont une santé fragile .
 - Je comprends Chef, je vous remercie .
        La journée se passe comme à l'ordinaire . Cependant, Ratefort ne peut oublier le tragique destin du prince qui a emporté dans son cachot une partie de sa fortune . Il a probablement espéré  s'offrir une évasion ou acheter une réhabilitation . Malheureusement pour lui, ses ennemis, ne lui ont pas laissé le temps . Par précautions, il a caché son or au fond du trou emprunté par les souris .
        Le lendemain, bien avant l'aube, le prisonnier quarante quatre contemple satisfait, l'herbe extérieure couchée par le vent de la nuit, au bout du tunnel. Lui et ses compagnes l'ont suffisamment élargi pour permettre le passage d'un homme . Il replace la pierre descellée et s'allonge, exténué et heureux sur la paillasse . Roland Ratefort pense briser au cours de la nuit à venir, l'angle gauche de la pierre encore en place qui rétrécit l'entrée du tunnel . Ils ne partiront, les souris et lui, que la nuit suivante . Pour s'éloigner rapidement, il emportera le seau d'aisance rincé dans lequel prendront place les souris et le trésor du prince . Il conservera suffisamment d'eau pour le rinçage et un reste de la couverture pour garnir l'intérieur du seau . Dans la journée, il met en ordre son cachot, efface les traces trop suspectes et peaufine le plan de l'évasion .

        La lune est à son dernier quartier et la nuit noire favorise les desseins de Roland Ratefort . Il inspecte minutieusement l'angle de la pierre, sent sous ses doigts une minuscule fêlure, estime la distance à dix centimètres de l'angle et sourit .
 - « Ce sera parfait ! », se dit-il . Il enfonce la pointe du tire-crin, imprime quelques coups avec la paume de la main, puis force sur le levier improvisé . La pierre résistant il augmente la pression, puis brusquement, l'angle cède dans sa quasi-totalité . Il émiette les fragments, les répartit dans les sacs et les souris les emportent . Il fait un essai, ses larges épaules passent sans dommages . Roland procède à d'ultimes vérifications dont une, la remise en place aisée du bloc descellé, à partir de l'intérieur du tunnel.
        Comme la veille au soir, la nuit est noire et la lune a disparue . Les yeux habitués à l'obscurité, Ratefort n'est pas gêné outre mesure . Sur l'une des arêtes du premier bloc descellé, il lacère sa couverture en bandes larges qu'il torsade par trois . Il noue une des cordes improvisées au barreau central de la lucarne laissant croire, bien qu'impossible, à une évasion par ce moyen . Le seau d'aisance rincé, garni, est expulsé à l'extérieur par le tunnel avec la bourse contenant le trésor et le tire-crin . Roland noue deux cordes autour du bloc de pierre, s'assure que tout est en ordre et qu'il n'oublie rien dans le cachot . Il s'engage dans le tunnel à plat ventre, les pieds en premier . Une fois à l'intérieur, il remet en place la pierre en tirant sur les cordes . Restées dans la geôle, Princesse et deux souris, grignotent les liens du bloc de pierre, aussitôt qu'il a pris sa place . L'étoffe rongée, les trois souris empruntent leur propre passage en emportant les restes de l'étoffe .
        Dehors, Roland Ratefort comble le trou de sortie par les gravats de déblaiement, efface les traces les plus visibles, et, roule dans l'herbe emplit de joie et de liberté retrouvée . Les souris prennent place dans le seau, Princesse glisse dans une poche du vêtement de l'ex-prisonnier, la tête dehors, puis Roland s'éloigne et gagne la forêt proche .

        Le matin suivant, assis sur la paillasse, la porte ouverte en grand, le geôlier après l'inspection du cachot, perdu dans ses réflexions, aimerait bien élucider le mystère de la disparition de son prisonnier ...


                MAI 2011, Emile LUGASSY.

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