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samedi 16 mars 2013

L'esprit de famille.

  Tout le monde il est beau,
Tout le monde il est gentil. 





 L'esprit de famille



        Si vous pensez que passer quelques jours, dans l'un des paisibles villages de l'arrière pays varois, est un rare bonheur, alors n'attendez plus ! Parmi les sourires et les visages heureux, la douceur  du vivre et la nonchalance, l'air pur et la calme sérénité  des rues ombragées venez oublier le tintamarre des pots d'échappement et l'air suffoqué, la promiscuité et ses agressions, le stress et ses emmerdes, les maux de tête ou d'estomac. Si votre impatience s'impatiente, bouclez la valise, le sac de sport ou le baluchon, oubliez le maquillage et la cravate, glissez la clé sous le paillasson ou dans la boite aux lettres, sautez dans votre auto, sur votre motocyclette ou sur le cheval à bascule de bébé et d'évasion imprégnez-vous. Dans la sinuosité des ruelles ombragées, vagabondez. Dans la fraîcheur silencieuse des maisons, méditez l'oubli des ragots et des envieux.

        Vous le trouverez perché sur les hauteurs d'un massif, entouré d'une riche végétation épargnée, les rues étroites et les maisons serrées, chacune blottie dans les bras de sa voisine, l'été pour s'abriter de la canicule, l'hiver pour moins frissonner. Ignoré des mégapoles tentaculaires, il est l'un des charmants villages méridional, havres de paix et d'harmonie où la vie a su garder la nostalgie du passé. S'il y a moins de moutons, si les tanneries, ailleurs ont exporté leurs couleurs, l'automobile reste discrète  . Si l'eau de la source alimente encore la fontaine sous l'ombre d'un grand tilleul ou d'un marronnier, elle a conservé sa pureté . Si les belles jeunes filles ont déserté le lavoir, leur sourire et leurs chansons enchantent encore les nuits de fête . Si le four du boulanger a perdu son bois, si sa vitrine s'est électrifiée, il pétrit encore la fougasse aux olives noires et le pain de campagne à la mode ancienne.
        Au coeur du village, près de la place, dans la salle d'attente du cabinet du docteur Rougerie, avachis sur l'unique banquette, les deux anciens se racontent les derniers potins du village, glanés par leurs vieilles oreilles indiscrètes . Le clocher de l'église a sonné onze heures, le soleil est haut et un filet de lumière dorée inonde la salle. Lorsque le Maire déboule essoufflé dans la pièce, les deux aïeuls se tordent de rire au souvenir de la mésaventure arrivée samedi soir à Félicien le serveur qui un plateau dans chaque main, a perdu son pantalon par la faute d'un bouton décousu.
  - Qu'est-ce que vous foutez-là les inséparables ? Questionne le Maire .
  - L'Antoine, il a mal aux dents ! Répond l'un des anciens .
  - T'as encore des dents, Toine ? Demande le Maire .
  - Té pardi ! Les deux de devant.
L'aïeul ouvre la bouche sur deux chicots noircis, aux trois quarts bouffés .
  - Je ne vois rien !
  - Il voit rien qu'il dit ! Là devant, les deux quenottes.
Il pose un index fripé sur deux minuscules émergences noires. Le Maire délaisse ses deux plus vieux administrés et s'adresse à la secrétaire.
  - Rougerie est encore là ?
  - Dans la salle des soins avec le blessé.
  - Les deux inséparables se doutent de quelque chose ?
  - Non Monsieur le Maire, ils sont arrivés bien après.
  - S'ils vous posent des questions, vous feignez l'ignorance.
  - Comme vous voudrez  monsieur Le Maire .
Il abandonne la secrétaire, frappe à la porte vitrée de la salle de soins et entre.
  - Salut Rougerie, il dort ?
  - Bonjour Martial, ton client est sous l'effet d'un soporifique. Il n'a pas cessé de gesticuler et de hurler : "Je vais buter cet enfant de salaud qui m'a tiré dessus". J'ai retiré la balle de son épaule.
Le Maire s'affale sur une chaise.
  - Je dois le signaler aux flics. Dit posément le médecin.
  - Purée ! Fais pas ça. S'exclame Martial.
  - Il s'agit d'une tentative de meurtre.
  - Que la police s'en mêle et je me fais lyncher par le patriarche.
  - Qui est au courant ?
  - Marius, ta secrétaire et toi. Fred est venu directement ici.
  - Le cafetier tiendra sa langue ?
  - Il est Marseillais et en a vu d'autres. Ta secrétaire ? On peut lui faire confiance ?
Rougerie sourit.
  - Aucun problème de ce côté, je maîtrise la situation.
  - C'est bien ce qui m'inquiète.
  - Sais-tu ce qu'il lui est arrivé ? Questionne le médecin.
  - Le merdier habituel ! Sauf que cette fois, le connard a piqué la femme d'un mariole du village voisin. Putain ! A croire que les femmes manquent dans le village, sans parler des touristes en mal d'amour. Quel con !
  - Tu ne veux pas confier l'affaire aux flics ?
Le Maire pousse un soupir.
  - Tu t'imagines que c'est aussi facile qu'en Bretagne. La famille possède le plus vaste vignoble, leur cru a relevé le village après la fermeture des tanneries, leur château est sur deux villages. Si on bénéficie de leurs subsides, c'est moyennant quelques arrangements.
  - Comme nettoyer la merde, après chacune de leurs frasques ?
Le Maire évacue la question d'un geste de la main comme il le ferait d'un moustique posé sur la joue. Rougerie laisse filer quelques secondes avant de reprendre par un autre bout.
  - Que devient le jeune Fabien ? Je ne le vois plus.
  - Il vit à Paris.
  - Il poursuit ses études de médecine ?
  - C'est une façon de voir Il recrute ses clients au bois de Boulogne.
  - D'où tiens-tu l'information ?
  - Le Maire d'un village ami, l'a rencontré.
  - Ton type pratique les garçons ?
  - Disons qu'il ne fait pas dans le détail.
La secrétaire frappe à la porte et entre .
  - Excusez-moi, madame Tosello a appelé pour dire que son petit fils a avalé une pièce d'or de la collection du grand père.
  - Comment diable peut-elle savoir ? Je veux dire pour la pièce, elle est aussi myope qu'une taupe. S'étonne le Maire.
  - Dites-lui que je passerai voir le petit. Répond le médecin.
La secrétaire partie, les deux hommes reprennent la conversation.
  - Le patriarche est au courant pour ses petits enfants ? Questionne Rougerie.
  - Fred lui rappelle sa propre jeunesse, aussi laisse-t-il courir tant qu'il peut étouffer les scandales. Il paie les études de Fabien qui sera toubib sans nul doute, pour le reste il s'en tape.
  - Que pense la mère des garçons ?
  - Question cul, Muriel ne peut rien leur envier.
  - Qui est le père ?
  - Un Parisien que Muriel a ramassé sur le banc de la Fac.
  - Qu'est-il devenu ?
  - Le vieux lui a offert un aller simple pour l'Amérique du Sud.
La secrétaire frappe à nouveau et entre.
  - C'est encore madame Tosello qui dit que la pièce avalée n'est que de cinq centimes et que par conséquent, il est inutile de vous déranger.
  - Bon ! Rétorque le médecin.
  - Il y a autre chose.
  - Quoi encore ?
  - Les inséparables sont partis en disant qu'ils reviendraient demain matin.
  - Ont-ils dit pourquoi ? Questionne, Martial qui se méfie des deux fouineurs.
  - Rien de particulier, sinon qu'ils veulent se rendre au café des fois que Félicien perde à nouveau ses brailles. Lui répond la secrétaire avant de retourner à son bureau.
  - Les vieux viennent souvent te voir ? Interroge le Maire.
  - Lorsque j'ai du monde.
Martial lève les yeux au ciel et pousse un profond soupire.
  - Si un événement sort de l'ordinaire, tu peux parier que ces cocos ne seront pas loin!
  J'ai terminé, l'épaule de Fred est cousue. Que disais-tu à propos des anciens ?
  - Aucune importance ! Ils font partie du décor après tout.
  - Pour quelle raison le patriarche a expédié le gendre de l'autre côté de l'Atlantique ?
  - Il buvait pas mal et corriger Muriel  à l'occasion . Il tournait aussi autour de sa fille.
  - Il l'a violée ?
  - A deux ou trois reprises. Fabien a subit les mêmes sévices de la part de son père .
  - Où se trouve la fille ? Je ne pense pas la connaître.
  - Tu ne la connais pas. Le patriarche l'a marié à un employé de son exploitation, un pauvre bougre qui n'a jamais compris ce qui lui arrive. Au terme d'une année de félicité, ils ont divorcé.
Rougerie l'interrompt brutalement.
  - le temps de faire taire les mauvaises langues !
 - Tu parles ! Les rumeurs sont le cadet de leurs soucis. Je t'ai dis qu'elle a divorcé au bout d'un an. Après quoi elle a disparu.
  - Vous ignorez où elle se trouve ?
  - Le grand père est dans la confidence. Camille est sa préférée et il est à parier qu'elle prendra le vignoble à la mort du vieux.
  - Les villageois sont  au courant de l'inceste ?
  - Les plus influents en savent long mais ils ferment leur gueule.
  - Cela fait partie de l'arrangement ?
  - Ils n'aimeraient pas voir leurs impôts augmenter.
  - Et toi ? Tu fais quoi là dedans
  - Je suis un enfant du pays, je ne veux pas voir mon village mourir!
  - Lorsque tu es venu me chercher en Bretagne, tu m'a tenu un autre discours . Le style dépliant touristique, « Venez chez nous, oublier votre prozac» !
Martial fait la sourde oreille et confie au silence le soin d'occuper l'espace que les gémissements du blessé ne tardent pas à troubler.
        Fred s'éveille, se redresse et grimace de douleur en remuant son épaule blessé. Il sourit aux deux hommes et apostrophe Martial.
  - Tiens monsieur le Maire, tu viens aux nouvelles ?
Musclé, adepte de la fonte et du jogging, Fred est un séduisant blond qui ressemble trait pour trait à Muriel quand elle avait son âge et l'insolence de la beauté, fanée par l'alcool et les amants.
  - Comment te sens-tu ? demande Martial .
  - Comme peut l'être un drogué. Dites toubib, que m'avez-vous fait avaler ?
 - Un soporifique .
 - Vous avez retirez la balle ?
 - Dans le haricot derrière vous.
 - que s'est-il passé dans le bar ? interroge Martial .
 - Marius ne t'a  pas raconté ? Je veux ta version des faits ?
Sans se départir de son sourire, Fred prend le temps de s'étirer, étouffe un juron sous la douleur, descend de la table et réclame un verre d'eau. La secrétaire dépose la boisson demandée et trois verres de plastique blanc.
  - Marie-Lyne que direz-vous de dîner avec moi ? Lance le blessé, son verre d'eau sitôt sifflé.
Rougerie et le Maire se regardent interloqués, l'offensive de Fred a de quoi les surprendre. La réponse de la secrétaire jaillit avec la violence d'un camouflet.
  - Désolée mon vieux, vous n'êtes pas mon type !
Après quoi elle tourne les talons et disparaît derrière son bureau.
         Le sourire de Fred n'a rien perdu de son éclat sous l'offense, il se sert un autre verre d'eau qu'il siffle avec la même célérité que le premier.
  - Rien d'extraordinaire ! Marius me sert un café et un brin de causette. Comme il fait beau, tout le monde a foutu le camp dehors. Je vous dis pas le boucan, un cinglé du klaxon qui a ameuté le quartier. C'est à ce moment-là que le type est entré sans se faire remarquer. L'enfoiré s'est approché, a dit quelque chose comme "c'est toi le Fred ?" J'ai pas plutôt répondu qu'il m'a balancé son pruneau.
  - Félicien a entendu quelque chose ?
  - Que dalle ! Je l'ai vu roucouler sur la terrasse avec la femme du boucher.
  - Tu l'as questionné ?
  - Pas besoin ! Avec le barouf du mec au klaxon et les rires de la bouchère, une bombe ne l'aurait pas fait sursauter. Alors, tu parles, le "Pop" d'un silencieux.
Le Maire amorce un début de soulagement. Si Fred dit vrai, il a une chance d'étouffer l'affaire.
  - Que s'est-il passé  après le coup de feu ?
  - Le type a pris le temps de ranger le flingue et s'est barré sans être inquiété. J'ai aussitôt rappliquais chez le toubib. Qu'as-tu l'intention de faire en tant que Maire ?
  - Je n'en sais rien encore, j'ai besoin de réfléchir. Pour l'heure tu te mets au vert, le temps de l'oubli. .
  - Tu rigoles, j'attends un groupe de Suédoises....


    sEPTEMBRE 2010, Emile LUGASSY.

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