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vendredi 15 mars 2013

L'agression.

   Un monde inconnu.









  L'agression


        William Walker sortit de l'ascenseur, hésita un moment sur la direction à prendre avant de s'engager à droite dans le  long couloir faiblement éclairé . Il passa devant plusieurs portes sur lesquelles était vissée une plaque de cuivre qu'il lut. Il s'arrêta devant l'une d'elles, plus petite et plus sobre, gravée d'une fine calligraphie . Walker avait dénombré dans la partie du couloir empruntée, un chirurgien-dentiste, un avocat, défenseur des affaires mineures, une conseillère matrimoniale, un assureur dont il ne comprenait pas la spécialité et enfin l'objet de sa visite.
«Victor Lorna
Détective privé
Enquêtes difficiles
Sur rendez-vous uniquement».
        L'index proche du bouton de sonnette, Walker s'arrêta surpris, de découvrir un interrupteur ancien monté sur une platine de marbre circulaire dans un immeuble moderne . Il inspecta la porte d'entrée moulurée rompant avec la tristesse des autres. Il reporta son regard sur l'interrupteur qui lui rappelait celui du docteur Malossi, sollicité deux jours plus tôt pour une banale démangeaison à la base du cou.
  "L'heure de grande affluence passée, ne restaient plus dans la salle d'attente que trois personnes lancées dans une vive discussion. Il retira le chapeau à son entrée, salua courtoisement les trois personnes, prit un vieux magazine dont les pages écornées, portaient la trace de nombreux doigts et s'assit à l'écart. Les trois patientes, des mères de famille, n'excédant pas la quarantaine, avaient interrompu leur bavardage pour dévisager William Walker. La plus jeune dont l'imposante personne occupait la valeur de deux sièges, annonça au nouveau venu qu'il y aurait de fortes chances qu'il passa après elle et que par conséquent, il aurait à prendre son mal en patience. Elles avaient énormément de maux à plaindre ce qui risquait fort de prendre du temps. Walker remercia les dames pour leur sollicitude, avoua qu'il n'était pas pressé et se plongea dans la lecture du magazine. S'ensuivit trente secondes de silence troublé par le seul bruit de la ventilation. Les trois charmantes personnes reprirent leur volubilité sans plus se soucier de Walker. On eut dit que l'intimité du lieu favorisé un mutuel besoin  de s'épancher. Elles parlaient en même temps, chacune se lamentant de l'état déplorable de leurs petits malheurs. Elles parlaient, parlaient avec le vague sentiment qu'ainsi partagée, leurs tracas seraient moins lourds à porter . Les phrases voguaient dans un désordre indescriptible, se télescopant les unes aux autres sans lien logique. Amusé par les doléances des trois mères, Walker s'intéressa peu au magazine. Il les imagina, pénitentes en prières, égarés devant un mur dédié aux lamentations. Lorsqu'il entra dans le cabinet, il perçut le soupir du docteur Malossi soulagé de n'avoir pas à consulter une énième patiente. Il désigna un fauteuil à Walker et dit : 
 - Asseyez-vous, je vous prie .
De grande taille, desséché, Walker était légèrement voûté, le visage émacié avec de lourds cernes sous les yeux d'un bleu incroyablement transparent. IL tira le fauteuil offert au velours fatigué, logea ses longues jambes et s'assit face au médecin.
 - Que vous arrive-t-il, monsieur Walker ? Demanda le docteur Malossi . 
 - J'ai comme un furoncle là, à la base de la nuque. Ca me démange, ça me dérange, ca brûle, ça cuit. Je me retiens de gratter en permanence et calme l'allergie par des aspersions d'eau glacée sans résultat.
 - Voyons cela ! Venez avec moi dans la salle de soins.
        Le praticien examina la rougeur sous une loupe éclairante. Le sommet du tubercule était blanc avec un point noir. Il enfila un gant et palpa la région.
 - C'est douloureux ? Demanda-t-il . 
 - C'est très sensible, qu'est-ce que c'est ?
 - Une piqûre de moustique ! En avez-vous d'autres ?
 - désolé Docteur, je ne possède que ce seul échantillon. Voyez-vous le moustique n'a pas jugé bon de me céder sa collection et, croyez-moi, une piqûre est déjà de trop .
 - Bien, bien !!!
 - C'est embêtant Docteur, je veux dire que vous n'ayez qu'un modèle à examiner ?
Le médecin prit le temps de la réflexion avant de répondre :
 - d'après ce que j'ai pu étudier sur le sujet, cela ressemblerait à une piqûre de Chikungunya.
 - Pardon, voulez-vous répéter, je vous prie ? Je crains d'avoir mal saisi !
Le médecin eut un sourire fatigué et répéta .
 - Chikungunya !
 - Chikungunya, dites-vous ? Serait-ce une nouvelle importation chinoise ?
Le médecin le regarda sans réagir. Il eut volontiers goûté  la plaisanterie, mais ce jour-là, son capital rires était épuisé.
 - Je vous prescrit une pommade pour calmer l'irritation. Vous l'appliquerez trois fois par jour. Je vous mets également sous antibiotiques, matin et soir pendant huit jours .
 - C'est sérieux votre truc ?
 - suffisamment, pour que vous fassiez faire une analyse sanguine. Voici l'ordonnance. En l'absence de données complémentaires sur la toxicité du moustique, j'aime mieux vous savoir sous couverture anti-biotique . Equipez-vous également d'anti-moustiques pour la nuit . Vous souvenez-vous quand vous avez été piqué ?
 - Avant hier soir, dans la nuit !"

        Le bruit de l'ascenseur en mouvement, tira William Walker de ses souvenirs . Il sollicita la minuterie du couloir, appuya fortement sur le bouton de sonnette et entra . L'appartement sentait l'encaustique et ressemblait par son mobilier à l'intérieur du château arrière d'un vieux navire. Victor Lorna était assis derrière un imposant bureau d'acajou aux angles laitonnés. Il leva les yeux sur son client et l'invita à le rejoindre .
 - Asseyez-vous monsieur Walker, je suis à vous dans une seconde.
Il referma un dossier, le glissa dans une pochette de cuir avant de le ranger dans un tiroir. La carrure massive, la barbe noire, la tignasse ébouriffée et le teint hâlé, Victor Lorna faisait davantage penser à un vieux loup de mer qu'au besogneux détective que Walker pensait rencontrer. Il le soupçonna de posséder un perroquet de Malaysie et une collection de képis galonnés . Il s'assit sur l'une des deux chaises réservées aux visiteurs et chercha du regard, parmi le fatras qui encombrait le bureau, la casquette de marin qui aurait confirmé sa supposition. Il fut tenter de demander à saluer le bel oiseau des iles, renonça et dit :
 - On  m'a rapporté que vous excellez dans les enquêtes, disons... un peu spéciales .
 - De qui tenez-vous le renseignement ?
 - Un proche ami, qui a fait appel à vos compétences .
Lorna n'insista pas sur la question .
 - Quel est le motif de votre visite ?
 - Je veux retrouver un moustique !
 - Vous l'avez égaré ?
 - Il n'est pas question d'une perte ! 
 - Que lui reprochez-vous alors ?
 - Une tentative d'assassinat !
 - Expliquez-vous ?
 - J'ai été agressé par le moustique dont il est question !
 - Qu'est-ce qui vous fait penser que l'agresseur en voulait à votre vie ?
 - Sa signature à la base de mon cou, que l'on soupçonne mortelle .
 - Bigre ! Vous pensez à une préméditation ?
 - Ce sera à vous de le découvrir .
 - Parfait ! Dressons le portrait-robot du moustique . Avez-vous pu le voir lors de l'agression ?
 - Comment l'aurai-je vu ? L'attaque a eu lieu pendant mon sommeil. C'est le médecin qui m'a révélé le nom de l'assassin et du poison utilisé.
 - Intéressant ça, vous pensez que le médecin a un rapport avec le moustique ?
 - Je ne crois pas, il l'a seulement identifié par sa signature .
 - Auriez-vous  une photographie ?
 - Du médecin ?
 - Non, de l'agresseur !
 - Pas le moindre portrait ! en revanche, je puis vous communiquer son nom de famille .
 - C'est un bon début, dites vite !
 - Chikungunya .
 - Chikungunya, avez-vous dit ? Vous n'auriez pas son prénom par hasard ?
 - pourquoi une telle question ?
 - Déterminer son appartenance mâle ou femelle .
 - Je suis désolé de ne pouvoir vous aider davantage .
 - Aucune importance ! Vous souvenez-vous du jour et de l'heure de l'agression ?
 - Cela remonte à quatre jours. Quand à l'heure, je vous l'ai dit, dans la nuit pendant mon sommeil. Je ne sais rien de plus.
 - Dans la nuit ? M'avez-vous dit ?
 - Vous l'ai-je dit ? Peu importe ! Une chose est certaine, ! L'individu m'a lâchement attaqué à mon insu .
 - Qu'attendez-vous de moi, monsieur Walker ?
 - En premier, l'identification du moustique . Ensuite savoir comment il est entré dans la métropole, par quel moyen et avec la complicité de qui . 
 - Entendu ! Je vous appelle quand j'aurai bouclé mon enquête . Une dernière chose, Quelle est votre profession monsieur Walker ?
 - Quel rapport cela peut-il avoir avec votre enquête ?
 - La profession d'un client peut s'avérer utile pour mes recherches .
 - J'ai été inspecteur des Douanes . Depuis deux années, je jouis d'une retraite bien méritée .

         Trois mois étaient passés, lorsque William Walker retrouva le détective dans son bureau encaustiqué, un dossier, ouvert devant lui . Lorna présenta les documents à Walker et dit .
 - Toute l'enquête est consignée dans ces pages . Je vous trace, d'ores et déjà les grandes lignes .
 - Je vous écoute monsieur Lorna .
 - Le Chikungunya est une maladie infectieuse tropicale due à un arbovirus de la famille des Togaviridae, transmises par des moustiques femelles du genre Aedes . Le chikungunya est aussi appelé « maladie de l'homme courbé » . Votre agresseur est un moustique-vecteur, natif de la réunion . Vous trouverez dans le dossier tous les renseignements que j'ai pu glaner ainsi que des illustrations de l'arbovirus et du moustique .
 - Qu'en est-il de mon meurtrier ?
 - Allons monsieur Walker, ça n'a été qu'une regrettable tentative !
 - Qui a failli me coûter la vie, ne l'oubliez pas !
 - Je ne l'oublie pas ! Mais revenons à mon enquête si vous voulez bien .
 - Je vous en prie monsieur Lorna, poursuivez !
 - Il s'agit d'un couple de moustiques vecteurs du Chikungunya qui, blessé lors d'une offensive menée par les insecticides, a trouvé refuge dans l'opulente chevelure noire d'une jeune femme en villégiature à la Réunion, non loin du champ de bataille . Ainsi à l'abri, au plus profond des cheveux de leur protectrice, le couple a échappé à la guerre sans merci que se livrent là-bas, les moustiques et les insecticides .
 - Comment sont-ils arrivés sur le territoire de la métropole ?
 - Par un vol régulier d'air France en compagnie de leur protectrice .
 - Avez-vous le numéro du vol ?
 - Vous trouverez les renseignements dans les documents, ainsi que le nom des membres de l'équipage .
 - Que s'est-il passé ensuite ?
 - Les choses se sont gâtées à Marseille . Remis en partie de leurs blessures, les deux locataires ont abandonné leur asile non sans avoir au préalable, signé leur forfait à la base de la nuque de leur protectrice .
 - Pour quelle raison ? L'interrompit Walker .
 - Le couple n'a pas apprécié l'embellissement de la chevelure par un coiffeur marseillais .
 - Qu'est devenue la jeune femme ?
 - elle a été soignée à l'hôpital . Fort heureusement la toxicité des deux moustiques a perdu de sa virulence au cours de la bataille contre les insecticides .
 - Avez-vous les coordonnées de la jeune femme ?
 - Pourquoi les voulez-vous ?
 - Pour un dépôt de plainte ! Rétorqua Walker .
 - Sous quel motif, souhaitez-vous déposer une plainte ?
 - Ils n'en manque pas, la liste est longue .
 - Vous trouvez ? Voulez-vous énumérer votre liste ! Demanda Lorna intrigué .
 - Fraude à la législation sur l'importation d'insectes vivants . Voyage sans titre de transport . Immigration illégale .
 - ah, non ! Cher monsieur, il ne peut y avoir d'immigration illégale . Les deux moustiques sont des ressortissants français .
 - Bon, admettons, j'abandonne cette fraude . Il me reste, non déclaration aux services des Douanes, absence de certificats de vaccination, non déclaration aux services vétérinaires, introduction frauduleuse d'armes bactériologiques et enfin tentative de nuire à autrui .
 - Mais enfin monsieur Walker, vous ne pouvez retenir tous ces chefs d'accusation contre la jeune femme . Sa participation a été accidentelle et elle a failli le payer de sa vie comme vous-même .
Walker eut un sourire angélique et annonça, le regard brillant d'une indicible jouissance .
 - Vous savez, les coupables sont tous de grands innocents, c'est bien connu!!!


                SEPTEMBRE 2010, Emile LUGASSY.

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