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lundi 8 avril 2013

La caravane.

  Carnet de Voyages.









 La caravane.


        Les dernières ombres de la nuit disparues, le ciel s'éclaircissait lentement jusqu'à n'être qu'un bleu d'une éblouissante transparence. A l'Est, le bleu du ciel était nimbé d'une douce lumière jaune paille tandis qu'apparu au-dessus des contreforts rocheux, un liseré rouge-orangé unissait l'ocre du désert à l'azur du ciel. Les deux jeeps cahotaient sur la piste mal nivelée soulevant un nuage de poussière sur leur passage. Les vrombissements des moteurs dans le silence du Néguev, se propageaient de proche en proche, portés par la légèreté du vent, pour se perdre au loin dans l'immensité désertique. A bord des véhicules, les passagers dont Catherine et Lény, se retenaient comme ils pouvaient pour ne pas chuter de leur siège sous les soubresauts. Les chauffeurs, de solides gaillards, Malgré une expérience avérée chevillée à la connaissance du terrain, peinaient à limiter le tangage des jeeps sur les nombreuses imperfections de la piste. Arrivées à proximité du squelette noirci d'un caroubier, les deux automobiles s'arrêtèrent et, sitôt leur moteur coupé, furent enveloppées par l'assourdissant silence du désert avec l'étrange impression de solitude, propre aux lieux inhabités. Le bourdonnement d'un insecte, suivi du déchirement du silence par le cri aigu d'un oiseau dans le lointain, accueillirent les visiteurs à leur descente des véhicules. Le gros des voyageurs partis à pied, Marie en tête, arriva avec quelques minutes de retard. Leur fatigue se lisait sur les visages perlés par la transpiration et le tee-shirt était auréolé sous les bras. Le soleil à présent haut, la chaleur de ses rayons chassa la clémence matinale. La transparence bleue du ciel plus limpide était presque blanche au-dessus des crêtes rocheuses. La lumière ruisselait sur l'or du sable, incendiait les roches et brûlait leur ombre noire. Le silence se tut, envahi par la modulation des voix qu'aucun obstacle ne freinait. Assis sous la maigre ombre du caroubier, Lény promena ses mains sur le tronc noueux du vieil arbre, sentant sous ses doigts la masse gélatineuse de la sève séchée autour d'un noeud. Les mains de Lény glissaient sur une surface sans rugosité, vernissé par la patine du temps. Le tronc était courbé comme celui d'un octogénaire usé par les années, ployé sous la charge de travaux pénibles. Les branches maîtresses parcourues de filets de sève séchée avaient perdu la majorité de leurs fines ramures. Marie trouva deux cosses de caroube rabougries, leurs carats éparpillés sur le sable parmi les pierres. Les chauffeurs des deux jeeps distribuèrent des sandwiches, des bouteilles d'eau, des tranches de pastèques sans oublier de proposer du café et des biscuits. Catherine s'assit près de Lény, entama son goûter puis demanda la première bouchée avalée.
  - Que ressens-tu d'être à six cents quarante mètres au-dessous du niveau de la mer ?
Lény prit le temps de manger une tranche de pastèque avant de répondre qu'il n'en savait rien.
  - La seule chose dont j'ai conscience, excepté la chaleur est l'intensité du silence qui est loin d'en être, tant il est riche de bruits.
  - Pour ce qui est du bruit nous en faisons autant qu'un détachement en campagne.
  - Oui je sais, mais avant d'être réunis, lorsque les moteurs ont été coupés, nous avons bénéficié d'un temps précieux pour percevoir les infimes vibrations de l'air. Il est fort dommage que nous ne sachions nous taire pour écouter. Nos mots peuvent être des maux pour le désert car, ils trahissent la magnificence du lueu et notre verbiage est une injure à son silence ou plutôt non, un irrespect pour le foisonnement de la vie qui l'anime. Imprégnés de bruits, nous fuyons son absence et qualifions de solitude silencieuse, une richesse insoupçonnée, étouffée par notre peur de l'absence verbiale. Hier matin, lorsque nous nous sommes tus et que nous n'avons eu pour bruits que notre seule respiration et les battements de notre coeur, la vie du désert s'est amplifiée jusqu'à nous absorber. Le frémissement de l'air est devenu souffle de vent, le bourdonnement0 de l'insecte voletant, curieux, autour de nous est devenu vrombissement et bien que le Néguev soit traversé par une route, il a préservé sa singularité du tintamarre des hommes.
  - Léo dit que le caroubier est millénaire.
  S'il en est ainsi, le désert l'a préserver comme le précieux présent du passé.
        Une heure plus tard après une marche silencieuse d'une quinzaine de minutes, troublée par les chocs de nos chaussures et les heurts du batons sur la pierraille sous le soleil devenu trop chaud, le groupe de voyageurs retrouva la confortable fraîcheur du car climatisé. Marie et Lény occupèrent les places de la veille, Léo monté en dernier, le car démarra. Le lourd véhicule peu sensible aux cahots, absorbait les inégalités du terrain grâce au grand débattement de ses suspensions. Léo s'empara du microphone, s'assura de son bon fonctionnement par une boutade puis se lança dans un long historique du désert. La tête posée sur le haut du dossier légèrement incliné, Lény glissa  dans la somnolence, bercé par le soufle du climatiseur, le ronflement du diesel, la narration soporifique de Léo et le roulis du car dont l'ombre noir défilait sur le lumineux ocre ensoleillés du Néguev.

        "Au loin à l'Est, le ciel s'affranchissait du noir d'encre de la nuit, tandis que le froid perdait de sa virulence. La caravane formait une longue file, les hommes criaient, les dromadaires blatéraient et dans le silence du désert l'écho du tohu-bohu avait longtemps plané dans l'air avant de se perdre dans le lointain. Des hommes s'affairaient autour d'un dromadaire resté accroupi au sol. Aram avait délaissé sa monture de tête pour remonter le long de la file jusqu'au petit groupe.
  - Que faites-vous ? Nous devons être parti, le jour ne va pas tarder.
  - Le dromadaire refuse de se redresser, avait répondu l'un des hommes qui tirait l'animal par les rênes.
  - Cette monture est épuisée, qui est le chamelier ?
  - Moi ! clamait à nouveau le même homme les rênes encore dans les mains.
  - Ton dromadaire est trop chargé, il n'ira pas plus loin s'il n'est pas allégé.
  - J'ai là tous mes biens ! avait aussitôt rétorqué le chamelier se remettant à tirer.
  - Tu vas tout perdre si tu persistes à maltraiter ton animal. Vous autres répartissez la charge sur l'ensemble des dromadaires.
  - Nos montures sont suffisamment chargées ! avait alors répliqué un autre homme.
  - Pouvons-nous confier une partie de nos marchandises à Itzhak, il possède six dromadaires peu alourdis, tentait d'argumenter un troisième arrivé sur les talons d'Aram.
  Itzhak ne vient pas avec nous, nos routes se séparent ici. Faites le nécessaire pour soulager la monture, je vais faire mes adieux à notre ami.
La chose dite, il confiait le problème des hommes à Isham. Itzhak dont le jeune fils dormait encore au pied d'un caroubier, s'était levé à la vue d'Aram revenant au bivouac.
  - Nous allons partir, annonçait ce dernier. - Sois prudent, on racontes que le nouveau procurateur Ponce Pilate  est sans pitié.
  - Un grand nombre de mes frères ont été crucifiés pour l'avoir ignoré.
Les deux hommes s'étaient étreints avec une grande effusion.
  - Que la paix soit avec toi noble Itzhak, avait dit Aram en s'en allant.
  - Que l'Eternel guide tes pas mon ami.
        Itzhac avait regardé les caravaniers s'éloigner vers le levant jusqu'à n'être plus qu'un point à l'horizon. La poussière retombait et les clameurs s'évanouissaient dans la nuit qui reculait emportant les peurs de son baiser glacial sous le scintillement du ciel bleui, auréolé de paillettes d'or. Dans le silence retombé, la vie renaîssait dans le désert éveillé. Des montagnes de l'Est, émergeait la calotte rougie du soleil et l'ombre étirée du caroubier se dessinait sur le sable avec les prémisses de la chaleur. L'arbre était jeune, vigoureux, ses branches ployaient sous le poids des fruits et son feuillage vert sombre donnait une belle ombre aux voyageurs les protégeant de l'ardeur du soleil. La joue taquinée par un rayon doré, Yaacov s'éveillait surprit par l'absence de la caravane. Redressé sur son séant, il n'entendait que le silence du Néguev. Il regardait autour de lui aussi loin que la jeunesse de sa vue pouvait porter. Itzhak son père, le châle de prière sur les épaules priait à voix basse tourné vers Jérusalem. Il avait cueilli une caroube pour tromper sa faim et attendu qu'Itzhak ait terminé. Le soleil avait  l'éclat de l'or dans un ciel envahi par l'azur.
  - Abba où est la caravane ?
  - Ils sont partis avant le lever du jour. Aram a prit du retard, la caravane
  est attendue à Pétra. - Pourquoi n'ai-je pas été réveillé, j'aurais aimé faire mes adieux à Aram ?
  - La fatigue a épuisé ton jeune corps est grand a été ton besoin de repos. Les hommes ont laissé pour toi du lait de chamelle avec une grappe de datte.
Yaacov avait abandonné la natte et cueilli une autre caroube avant de demander à son père affairé près des dromadaires.
  -Je ne vois pas isham ?
  - Il accompagne Aram.
  - Pourquoi Abba, pourquoi isham n'est-il pas resté avec nous ?
Itzhak avait délaissé les animaux pour revenir auprès de son fils.
  - Restaures-toi Yaacov, nous n'allons pas tarder à partir, nous avons une longue route devant nous.
  - Je sais que nous devons reprendre la route, je sais aussi que mon corps a besoin de se nourrir mais je voudrais avant tout savoir pourquoi Isham nous a quitté .
  - Tu es jeune mon fils, inexpérimenté, ton esprit s'ouvre aux mystères du monde, donnes-lui le temps d'apprendre. Aram a la responsabilité de soixante-dix caravaniers. Ils sont à peine plus âgés que toi, intrépides, courageux, rompus au métier des armes mais n'ont pas le savoir ni la sagesse d'Isham. Aram ne peut se passer du guide spirituel qu'est Isham, son ambassadeur auprès des cités. A présent manges à ta faim puis tu cueilleras des caroubes, choisis des fruits mûrs en grande quantité l'arbre ploie sous la générosité de ses caroubes.
        Yaacov avait aspergé son visage d'un peu d'eau, s'était assis en tailleur, fait une courte prière et pris le temps de se restaurer. Son père retourné auprès des dromadaires, vérifiait les liens de la charge de chacun d'eux. Yaacov avait roulé sa natte, rangé le reste de nourriture s'assurant que rien ne traînait puis cueilli les gousses de caroube qui lui paraîssaient les plus douces. Lorsqu'il eut terminé, le panier de la récolte fixé sur sa monture, il avait dit qu'il était prêt. Haut dans le ciel, le soleil brillait de mille feux, le sable scintillait sous la lumière, les ombres se ratatinaient et la chaleur devenait lourde. Itzhak avait revérifié l'arrimage fait par son fils et donné l'ordre du départ. Ils avaient chevauché côte à côte durant quelque temps sans échanger un mot, les yeux fixés sur l'horizon, Yaacov s'intéressait peu à l'étendue désertique du Néguev. Itzhak n'avait fait aucune remarque, suivi les traces laissés par la caravane d'Aram sur une centaine de lieues jusqu'à atteindre un monolithe peu distinct des autres roches pour bifurquer vers le nord.
  - Abba, pourquoi délaisses-tu les traces d'Aram ? Ne m'as-tu pas dit qu'il est parmi les meilleurs guides ?
  - Il l'est mon fils, mais nos routes se séparent ici.
Yaacov avait regardé autour de lui sans voir autre chose qu'une étendue désertique.
  - Abba pardonnes mon ignorance, comment peux-tu savoir ? je ne vois aucun indice autour de nous.
Itzhak avait souri laissant passer un peu de temps avant de répondre. Yaacov eut beau regarder dans toutes les directions, il ne voyait que le morne paysage du Néguev.
  - Tu ne peux regarder si tu ne sais voir Yaacov, écouter si tu ne peux entendre.
  - Je ne vois que l'ombre des pierres sur l'ocre du sable ensoleillé et n'entends que le frémissement de l'air qui trouble le silence.
  - Le silence du désert n'est qu'apparent semblable au voile de la jeune mariée. Il y a bien plus de richesse enseignée par le silence du désert que tu n'en trouveras dans les cirques de Rome. Aussi fertile que soit ton esprit, sans labour tu ne peut récolter. Apprends du vent et de l'espace infini du désert. Souviens-toi de nos pères, esclaves de Pharaon et de leurs peurs. Pour n'avoir su apprivoiser le Sinaï, ils ont vénéré le veau d'or à la face de l'Eternel puis erré durant quarante années dans le désert. Appuies-toi sur la nature pour tracer ta route, le passage des hommes est éphémère. La tempête de sable efface les traces d'une caravane, altère la physionomie des dunes mais s'épuise sur la roche. Aram puise sa connaissance dans la géographie des déserts et l'enseignement du ciel.
Itzhak s'était tu, observé l'ombre d'un rocher sur sa droite, estimé la hauteur du soleil, en déduisait une correction Nord-Est. Yaacov avait suivi les observations de son père, vu que l'ombre du rocher ainsi que leur propre ombre peu exprimées étaient à l'aplomb du soleil. Il avait bu un peu d'eau avant de demander :
  - Quand arriverons-nous à Yéroushalaïm ?
  - A temps pour les offrandes de Pessah. Nous nous arrêterons à Qumran chez ton oncle Mardoché pour lui remettre les marchandises. Il est probable qu'il ait dépêché des serviteurs à notre rencontre.
  - Irons-nous chez la cousine Esther à Beersheva ?
  - Non mon fils, les coursiers de Mardoché porteront à Esther les épices et la myrrhe.
Yaacov avait rabattula capuche sur son front sans parvenir à se protéger de l'ardente chaleur du midi..."

        Le tremblement de son épaule gauche accompagné de la voix lointaine de Marie résonnant à son oreille le fit sursauter.
  - Réveilles-toi Lény nous sommes arrivés !
Le dormeur ouvrit un oeil qu'il referma aussitôt, ébloui par l'intense luminosité solaire. Amusée par le clignement des yeux de Lény, Marie tira le rideau pour lui faire de l'ombre sur le visage. Le moteur du car arrêté tournait au ralenti, son bruit couvert par le brouhaha des voyageurs qui encombraient l'allée centrale peu décidés à descendre, tandis que Catherine attendait que la travée fut libérée pour quitter sa place. Lény ouvrit les yeux, retrouva le souvenir de son environnement et demanda :
  - Où sommes-nous ?
Marie le regarda étonnée, incertaine d'avoir compris la question. Elle prit le temps de retirer du porte-bagages leurs sacs de voyage avant de lui répondre.
  - A Jérusalem, nous sommes à Jérusalem ! Le car est arrêté devant l'entrée du King Salomon...


JUILLET 2012, Emile LUGASSY.

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